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Dysfonctionnements à La Pâquerette dénoncés avant l'affaire Adeline

Le centre de la Pâquerette est situé dans l'enceinte de Champ-Dollon. [Keystone - Salvatore Di Nolfi]
Dysfonctionnements à La Pâquerette dénoncés avant l'affaire Adeline / Le Journal du matin / 4 min. / le 2 juillet 2015
Des documents en mains de la RTS attestent de dysfonctionnements au sein de l'établissement genevois de La Pâquerette avant l'affaire Adeline. Ils permettent de s’interroger sur la réaction des autorités.

L'établissement genevois d’exécution des peines, destiné à des détenus violents ou atteints de graves désordres de la personnalité, s'est retrouvé au cœur de l'actualité lors de l'assassinat en septembre 2013 d'une jeune sociothérapeute par un détenu de La Pâquerette, lors d'une sortie accompagnée.

Mais des documents datant de juillet 2012 et que la RTS a pu se procurer montrent déjà certains dysfonctionnements au sein de l’unité dont l'information avait été transmise aux autorités.

Détenus en sortie non accompagnée

Ils nous apprennent que de jeunes femmes sociothérapeutes pouvaient accompagner seules et simultanément deux détenus condamnés pour des faits graves. Le cas était même fréquent et le nombre pouvait même s’élever jusqu'à trois. Certains détenus pouvaient aussi bénéficier de sorties seuls, de "temps libre" durant une journée entière et il arrivait qu'ils rentrent au-delà de l’heure prévue.

Cas précis signalé aux autorités

Cela s'est produit notamment le 18 juillet 2012. Après avoir passé la journée dehors, un détenu n'est pas revenu à l’arrêt de bus où l'attendait la jeune sociothérapeute chargée de le ramener en compagnie d'un autre détenu.

Le directeur adjoint de la prison Champ-Dollon, qui abritait La Pâquerette, avait alors suivi la procédure et signalé le fait à la directrice générale ad intérim de l’Office pénitentiaire ainsi qu'au secrétaire général adjoint au Département de la sécurité en charge en charge de la communication.

"Pas un événement exceptionnel"

Dans sa réponse, la directrice du pénitencier écrit qu'un retour tardif ne constitue pas un événement exceptionnel méritant une transmission directe au chargé de communication du département. Elle ajoute que le travail sur le retour tardif est l'une des composantes des efforts de réinsertion.

Cette réponse avait fait réagir le directeur de Champ-Dollon, qui soulignait au contraire l’importance du fait et mettait en garde contre les risques encourus a posteriori.

Le rapport joint au document - d'abord adressé à la directrice de La Pâquerette - est pour le moins alarmant. On y découvre notamment que le détenu arrivé en retard a sonné chez des particuliers à Chêne-Bougerie pour téléphoner. Vérification faite auprès de l’habitante, il n'y a toutefois pas eu de problème. Mais ce Letton condamné en 2003 pour avoir étranglé un homme sous l’emprise de la drogue a tout de même avoué ensuite aux sociothérapeutes qu'il avait bu.

L'autre détenu, un Genevois condamné en 1998 notamment pour viols et contraintes sexuelles avec cruauté sur des adolescentes, posait théoriquement un problème moindre. Il venait en effet d’être déclaré par une expertise psychiatrique apte à être placé en milieu ouvert. Il est encore détenu aujourd'hui.  

Notons encore que cinq jours auparavant, les deux détenus toujours accompagnés par une seule sociothérapeute, étaient déjà rentrés en retard à cause du détenu cité plus haut, qui avait cependant averti La Pâquerette par téléphone.

Pas de réaction des autorités

Selon les sources de la RTS, les autorités n'ont pris aucune mesure particulière à la suite de ces courriers au sein de l'établissement.

Le premier détenu, condamné dans le canton de Vaud à 15 ans de prison et 12 ans d’expulsion du territoire suisse, a été expulsé vers la Lettonie le 7 août 2012, soit moins d’un mois après ces rentrées tardives. Il s’est certes vu privé d’une journée de sortie deux jours après les faits mais dès le lendemain, il ressortait en compagnie d’Adeline pour se rendre chez le physiothérapeute, tout comme les jours suivants. Il a encore bénéficié jusqu'à son départ pour la Lettonie de plusieurs journées libres - dont une passée à Lausanne pour voir des amis.

Malgré les alertes du directeur de Champ-Dollon, il n’y a donc pas eu de mesures et le ministre en charge de la sécurité Pierre Maudet n'est pas intervenu.

Un des documents:

Confusion entre deux départements

Ce fait est lié à  la complexité de l’affaire de la Pâquerette, en raison notamment du statut hybride de l’ancien établissement. Les deux conseillers d'Etat en charge de la Santé et de la Sécurité se renvoient la responsabilité.

Interrogé sur sa connaissance des faits, Pierre Maudet a fait répondre à la RTS qu’il n'a pas été informé spécifiquement de ce retour tardif à l'époque. Il fait préciser par ailleurs qu'en juillet 2012, la police intervenait pour les risques sécuritaires sur réquisition des Hôpitaux universitaires (HUG), seuls responsables de la gestion de La Pâquerette et de ses pensionnaires.

Les HUG refusent de commenter. Mais Mauro Poggia, en charge du département de la Santé, affirme quant à lui que si les propositions de sorties émanaient bien de La Pâquerette, seul le département de la Sécurité pouvait au final délivrer les autorisations et estimer la dangerosité des patients.

Laetitia Guinand/oang

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"Une sociothérapeute seule avec plusieurs détenus c’est faux"

Interrogé au 12h30, Benjamin Brägger, expert du domaine carcéral et pénitentiaire, ancien chef du service pénitentiaire du canton de Neuchâtel, est catégorique: "La conduite selon les réglementations concordataires du concordat latin dit une conduite c’est une sortie accompagnée. L’accompagnement doit toujours se faire en permanence et selon la dangerosité de la personne: quand il peut se faire par des agents de détention, il peut se faire par la police, une sociothérapeute seule avec plusieurs détenus c’est faux."

Il rappelle que ce régime hautement sécurisé concerne des détenus qui ont commis des infractions graves. "Une rentrée tardive c’est quelque chose qu’il faut analyser précisément, car c’est toujours un signal que quelque chose cloche. Rentrée tardive, consommation d’alcool, il y a toujours un glissement vers une nouvelle récidive qui peut se programmer."

Il ajoute encore que l'Office pénitentiaire genevois aurait dû agir. "L’office cantonal avait cette information, de mon point de vue, cet office aurait dû retransmettre au moins cette information à l’autorité compétente. Je dis oui, on aurait dû intervenir."