Des locaux de Natural Le Coultre, la société de transport et de stockage d'Yves Bouvier, ont été perquisitionnés en avril dernier à la demande de la justice espagnole qui enquête sur une affaire de corruption politique.
Les agents recherchaient des oeuvres qui auraient servi à blanchir de l'argent. Selon le dossier de la justice espagnole qu'a pu consulter la RTS, une "vente fictive" a été organisée afin de rapatrier de l'argent en Espagne.
4,2 millions rapatriés
L'affaire concerne un entrepreneur immobilier ami d'enfance et associé de Francisco Granados, ancien secrétaire général du Parti populaire madrilène soupçonné d'être le cerveau d'un vaste réseau de corruption. Les deux hommes sont en détention depuis près d'un an à Madrid.
L'entrepreneur a procédé à une vente de 28 tableaux, cinq photographies et deux sculptures entre des entreprises espagnoles et une société offshore singapourienne, toutes en réalité sous son contrôle.
Cette transaction a ainsi permis de faire revenir en Espagne plus de 4,2 millions d'euros cachés dans la cité-Etat asiatique.
Destination: les ports francs de Genève
Si les biens ont effectivement quitté l'Espagne, ils ne sont jamais arrivés à Singapour. Selon le contrat de vente en main de la RTS, leur destination devait être la société genevoise Natural Le Coultre.
Interrogée sur l'origine des oeuvres et la raison de leur éventuel entreposage à Genève, la société d'Yves Bouvier a assuré ne pas être autorisée par la justice à donner des détails, tout en affirmant que "tous les biens entreposés sont rigoureusement inventoriés. Lors d’une enquête pénale, nous pouvons très rapidement aider les autorités judiciaires à les identifier."
Du côté du Ministère public de la Confédération (MPC), on ne commente pas l'affaire, "les investigations étant toujours en cours".
Cette nouvelle révélation s'ajoute aux questionnements sur l'opacité des activités dans les ports francs - pointées du doigts dans un rapport du Contrôle fédéral des finances - et met en lumière certains aspects sombres du marché de l'art, déjà soulignés par l'affaire Bouvier-Rybolovlev et la récente inculpation du marchand genevois en France pour recel d'oeuvres de Picasso (voir encadré).
Marc Renfer
La Suisse à l'origine de l'enquête
Pour les enquêteurs suisses, l'affaire dite "Punica" est loin d'être une inconnue. Les procureurs helvétiques sont à l'origine du dernier scandale en date qui secoue le monde politique espagnol, en particulier le Parti populaire de Mariano Rajoy.
Le MPC a ouvert une enquête en 2012 après avoir détecté des mouvements de fonds suspects sur cinq comptes liés à l'entrepreneur immobilier et à Francisco Granados, hébergés chez BNP Paribas et UBS à Genève.
Après la réception d'une commission rogatoire suisse fin 2013, la justice espagnole a lancé sa propre investigation et a démêlé les fils d'une affaire qui a mené à l'arrestation et à l'inculpation de dizaines de politiciens et entrepreneurs espagnols, suspectés d'avoir touché et versé des pots-de-vins lors d'attribution de marchés publics.
Les affaires et le roi des ports francs
A la tête de Natural Le Coultre, Yves Bouvier occupe une position névralgique sur le marché de l’art et est le principal locataire des ports francs de Genève, où sont entreposées d'innombrables biens de collection.
"Le roi des ports francs", comme l'a surnommé la presse, a fait les gros titres suite à l'accusation portée à son encontre par l'oligarche russe Dmitri Rybolovlev. Le milliardaire affirme avoir été victime d'une surfacturation lors d'achats de tableaux, alors qu'Yves Bouvier servait d'intermédiaire.
Dernier rebondissement en date, le Genevois a été mis en examen en France la semaine dernière pour "recel de vol", soupçonné d'avoir vendu à Dmitri Rybolovlev des œuvres de Picasso, que l'héritière du peintre assure n'avoir jamais mis sur le marché.
Selon le classement du magazine Bilan, la fortune d'Yves Bouvier serait comprise entre 300 et 400 millions de francs.