"Je recevais une offre d'un entrepreneur que je faisais suivre à Luis Barcenas, qui se chargeait de la gestion avec le ministère correspondant (...) Si l'attribution était obtenue, l'entrepreneur payait 2 ou 3%, que je remettais à Luis Barcenas, parfois au siège du PP, parfois chez lui."
L'homme d'affaires au centre du procès a évoqué des commissions illégitimes versées pour l'obtention de travaux publics comme "des routes, des autoroutes ou des travaux de l'AVE (le TGV espagnol)".
La déclaration de Francisco Correa:
S'ils sont confirmés, ces aveux prononcés par Francisco Correa pourraient compliquer la situation de banques suisses qui ont accueilli l'argent de Luis Barcenas.
Selon une analyse des mouvements bancaires de l'ex-trésorier du PP menée par les autorités anti-corruption espagnoles, au moins 8 millions d'euros ont été déposés en cash entre 2000 et 2005 à Genève. Le document, qu'a pu consulter la RTS, révèle l'existence d'environ 60 versements, pour un total de 3,8 millions chez Lombard Odier, et 4,2 millions chez Dresdner Bank (absorbée en 2009 par LGT).
Sous l'onglet "origine" des versements, les enquêteurs espagnols ont toujours laconiquement indiqué un "no consta", pour "ne figure pas".
Contactée par la RTS, Lombard Odier a rappelé par la voix de son porte-parole que "de manière générale, nous ne commentons pas une procédure en cours". LGT Bank a affirmé ne pas pouvoir commenter la politique de l'ex-Dresdner.
"S'il s'avère que ces fonds proviennent de la corruption, les intermédiaires pourraient devoir justifier ne pas s'en être doutés, malgré le fait qu'ils aient pris les précautions de diligence dictées par les circonstances", prévient le procureur Jean-Bernard Schmid, en charge de l’investigation genevoise qui cherche à déterminer si des actes répréhensibles ont été menés sur territoire suisse.
Argent remis à l'Espagne?
Comme l'explique Yves Klein, avocat spécialisé dans la récupération de fonds spoliés, l'argent déposé en Suisse pourrait éventuellement être remis à l'Espagne en cas de confiscation. "S'il s'avérait que des institutions publiques avaient été victimes d'actes de corruption, celles-ci pourraient en outre- en tant que lésées - demander l’allocation des fonds confisqués" .
"Si reconnues coupables de manquements dans la lutte contre le blanchiment, les banques pourraient par ailleurs aussi devoir payer des dommages et intérêts aux lésés", ajoute le spécialiste.
La situation devrait s'éclaircir avec la déposition de l'ex-trésorier du PP, attendue vers la fin de l'année, voire début 2017, moment où il sera questionné sur l'origine des fonds déposés à Genève, levant le voile sur un mystère de plusieurs années.
Marc Renfer
20'000 francs pour une offshore, 180'000 francs de frais d'avocats
Les analyses des comptes bancaires suisses offrent un regard inédit sur certains frais payés par le politicien.
En 2005, alors que Luis Barcenas est élu sénateur depuis peu, ses fonds sont passés sous contrôle d'une fondation panaméenne, dissimulant son identité.
Le montage offshore a été le fruit du travail de la société genevoise Favona SA, à l'origine la fiduciaire de Darrier Hentsch, établissement qui a fusionné avec Lombard Odier en 2002. Luis Barcenas a ainsi versé plus de 21'000 francs à Favona pour la gestion de cette structure.
De 2010 à 2012, Luis Barcenas a également versé de l'argent à l'étude Poncet Turrettini Amudruz Neyroud. En trois ans, ce sont près de 190'000 francs qui ont été facturés au politicien espagnol.
"Je confirme avoir été son avocat", explique Carlo Lombardini, associé de l'étude. "Je n'ai fourni que des prestations juridiques, je n'étais pas intermédiaire financier", tient-il à préciser.
La Suisse valide l'utilisation de documents bancaires saisis
Un arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 5 octobre dernier et publié jeudi a définitivement validé l'utilisation par la justice espagnole des documents bancaires saisis en Suisse et transmis dans le cadre de commissions rogatoires.
Les avocats de Luis Barcenas s'opposaient à une décision de l'Office fédéral de la justice (OFJ) qui confirmait l'autorisation de "l'utilisation de la documentation transmise aux autorités espagnoles (...) pour la poursuite du chef de délits contre le Trésor public".
Une réponse négative de la Suisse aurait pu faire tomber tout un pan de l'accusation. Les délits contre les finances publiques reprochés à l'ex-trésorier du PP pourraient lui valoir jusqu'à 26 ans de prison, selon l'acte d'accusation.
Me Jean-Marc Carnicé s'étonne "que Berne ait donné une telle priorité à ce dossier pour de prétendus délits fiscaux". "On peut regretter que l'Espagne ne se soit pas montrée aussi coopérative envers la Suisse quand celle-ci a exigé l'extradition d'Hervé Falciani, finalement condamné dans notre pays mais qui ne purgera jamais sa peine", relève-t-il.