Dans quelles circonstances un gouvernement peut-il interdire le port de la kippa, du voile ou de la croix sur l’espace public? Cette question est au coeur des débats sur le projet de loi sur la laïcité proposé par l'exécutif genevois.
Son article 8 est particulièrement controversé. Il stipule que "le Conseil d'Etat peut restreindre ou interdire, pour une période limitée, le port de signes extérieurs manifestant une apparence religieuse" et ce "afin de prévenir des troubles graves dans le domaine public (...)".
"Tous les croyants discriminés"
Les croyants sont partagés. Si la plupart des chrétiens qui portent peu de signes ostentatoires ne se sentent pas concernés (voir encadré), le président de la communauté israélite de Genève regrette que "cet article ne définisse pas dans quelles circonstances ces signes religieux seraient interdits".
Pour lui, "il est évident que le Conseil d'Etat a voulu viser les islamistes, mais de ce fait discrimine aussi tous les croyants".
Cela serait une régression sérieuse, alors que Genève connaît la liberté confessionnelle depuis 130 ans.
Un article également jugé "ambigu" par Hafid Ouardiri, de la fondation musulmane de l'Entre-connaissance. "On peut interpréter ça comme on veut. Ce n’est pas assez clair pour garantir la paix confessionnelle", estime-t-il.
"Imposer la paix civile"
"Si pour des motifs de référence à une religion on voit apparaître des troubles à l’ordre public, l’Etat doit pouvoir rappeler la primauté du droit civil, se défend de son côté le Conseiller d'Etat Pierre Maudet, à l'origine du texte.
L'Etat se donne les moyens d’imposer la paix civile. D'interdire un vêtement s'il est constitutif d’actes très graves qui troublent l’ordre public.
Reste que la volonté de définir ce qu'est un Etat laïc fait des émules dans le canton: trois projets de loi ou de modifications constitutionnelles sont actuellement sur la table du Grand Conseil.
Un texte "fourre-tout"?
Le député indépendant et laïc Pierre Gauthier compte parmi les auteurs d'un projet de loi concurrent à celui de Pierre Maudet, qu'il juge "fourre-tout", puisqu'il traite de manière exhaustive de tous les aspects qui lient la religion aux affaires publiques, de la neutralité des fonctionnaires aux aumôneries dans les prisons en passant par l'impôt ecclésiastique.
Son texte veut notamment clarifier le fait que l'exercice du culte doit rester interdit sur la voie publique, afin que celle-ci "ne devienne pas chasse gardée du prosélytisme agressif et sectaire". En revanche, il ne s'oppose pas à l'article 8.
L'idée d'interdire les signes ostentatoires est une bonne chose quand la paix civile est en danger.
Le projet de l'exécutif, déposé en novembre 2015, est actuellement en mains de la commission des droits de l’homme du Grand conseil. Il ne sera pas délibéré en plénière avant janvier ou février 2017.
Cecilia Mendoza/Jessica Vial
Les églises chrétiennes partagées
Les fidèles d'une église catholique romaine interrogés par la RTS se sont montrés divisés: les uns sont favorables à l'article s'ils craignent une montée de l'islamisme, d'autres sont contre car ils jugent l'article trop flou.
Une assistante pastorale de la communauté catho-romaine défend par exemple la liberté de culte inconditionnelle. "La laïcité est soit inclusive et tolère toutes les religions, soit elle est exclusive et refuse toutes identités communautaires et ça, ça heurte les croyants de même que tout civil qui s’identifie à ses racines religio-culturelles", a-t-elle expliqué à la RTS.
Du côté protestant, l'article 8 suscite moins d'inquiétudes. "S'il peut nous interpeller en tant que citoyens quant à l'image que nous nous faisons du vivre ensemble en société, il n'est pas particulièrement relevant au niveau de notre confession, dans laquelle les signes religieux extérieurs de religion sont rares", a réagi Alexandra Deruaz, codirectrice de l'église protestante de Genève.
Une brochure sur la laïcité dans les écoles
Le Département de l'instruction publique (DIP) avait distribué aux enseignants en août dernier une brochure consacrée aux règles et principes de la laïcité dans le cadre scolaire.
Le texte rappelle les règles de l'école laïque genevoise, notamment que les signes religieux ostensibles sont interdits pour les enseignants, mais tolérés pour les élèves, qu'il n'y a aucune dispense de cours pour des motifs religieux et qu'un élève ne peut pas refuser d'interagir avec une enseignante.
La brochure explique également qu'en cas d'incident, il faut d'abord privilégier le dialogue et ensuite en référer à la direction de l'école, voire au Département.
Ce besoin est venu du contexte international, mais aussi de quelques cas pratiques qui se sont posés à Genève, avait alors expliqué le DIP.