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Petits arrangements illégaux entre taxis et portiers d'hôtels à Genève

Certains taxis versent des commissions aux portiers des grands hôtels
Les chauffeurs de taxi doivent payer pour être appelés par les hôtels / 19h30 / 4 min. / le 18 décembre 2016
Certains taxis versent des commissions aux portiers et concierges des grands hôtels de Genève, afin de décrocher des courses importantes. Or, la pratique est pénalement répréhensible depuis juillet.

La pratique est discrète mais généralisée depuis plus de 60 ans. Pour éviter d’attendre des heures sans client, certains chauffeurs de taxi n’hésitent pas à payer les employés des grands hôtels pour être appelés directement sur leur portable si un client se présente pour une grande course.

Pour une station de ski comme Zermatt, la course peut être entre 800 et 900 CHF. Un concierge pour un seul appel, peut toucher les 20% de 900 francs.

Un chauffeur de taxi genevois sous couvert d'anonymat

Les 20% de commission généralement prélevés correspondent à 180 CHF pour une course Genève-Zermatt, ou encore 40 CHF pour une course Genève-Lausanne.

"Profiter de la souffrance des chauffeurs"

Ce système a explosé depuis l’arrivée d’Uber en Suisse romande. "Les commissions existaient avant mais c’était beaucoup plus discret et pas généralisé. (...) Les portiers des grands hôtels connaissent la souffrance des chauffeurs des taxis bleus et ils essayent de profiter au maximum", explique ce chauffeur.

Or, la pratique est pénalement répréhensible depuis le 1er juillet dernier et passible de trois ans de prison. L’article 322 du code pénal est très clair, explique l'avocat Benjamin Borsodi: il ne s’agit pas de petits arrangements entre amis mais bien de corruption privée active pour les chauffeurs de taxi et passive pour les concierges et portiers qui reçoivent de l’argent.

L'Etat ne bouge pas

Déjà en 2001, les taxis de service public genevois avaient tenté d'alerter les autorités cantonales. Taxiphone avait dénoncé, sans succès, les commissions versées officiellement et officieusement dans une lettre, en précisant les tarifs observés: 10% sur une course en ville, 20% sur une course vers l'aéroport, et 30% ou plus sur une course hors du canton.

Aujourd’hui encore, le Service du commerce genevois n’effectue aucun contrôle dans ce domaine, car la loi régit uniquement la relation entre le client et le chauffeur. Pas de contrôle non plus chez Ambassador, la centrale de taxis bleus qui travaille avec tous les grands hôtels genevois. Et tous les hôtels 5 étoiles sans exception, interrogés par la RTS, ont refusé de s'exprimer.

Corruption privée

Même s’il s’agit de corruption privée et que ces sommes sont dans la grande majorité non déclarées au fisc, rien n’a pour le moment bougé. Aucune plainte n’est pourtant nécessaire pour l’ouverture d’une procédure, la corruption privée peut être poursuivie d’office par la justice.

Cécile Tran-Tien, Dimitri Zufferey/jvia

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Phénomène pas cantonné à Genève

Genève n’est pas le seul canton où se pratiquent ces commissions. Comme toutes les grandes villes touristiques européennes, Lausanne, Zurich, mais aussi Crans-Montana connaissent ce genre d’usages. Dans la station valaisanne, les commissions versées aux grands hôtels atteindraient les 10%.

Quels sont les risques encourus?

Dans une affaire de corruption privée, la peine maximale est l’emprisonnement jusqu’à trois ans. Mais Maître Borsodi reconnaît qu’une telle peine serait difficilement appliquée. "Pour des cas nouveaux, il y aura une indulgence de la part du tribunal mais il y aussi la volonté de marquer l’exemple, donc on peut imaginer des amendes qui seraient infligées", estime-t-il.

Pour l'avocat, un chauffeur de taxi ne peut pas invoquer le fait de ne pas avoir de course s’il refuse de verser des commissions. Pour lui tout le monde est coupable, tant le chauffeur de taxi qui paie que le concierge qui reçoit l’argent.

"Les entreprises sont pénalement punissables dans le cas de la corruption active (...) La centrale qui n’aurait pas mis en place des mesures d’organisations pourrait se voir imputer une responsabilité pénale avec une amende qui peut aller jusqu’à 5 millions", ajoute Me Borsodi.