"Il y a des mois où je n'ai pas touché de salaire. Zéro, Zéro, Zéro." Depuis le mois de mai, Karim est chauffeur Uber. Domicilié en France voisine, il a dû se faire engager par une des sociétés de transport partenaires d'Uber pour obtenir un permis de travail, en l'occurence Pégase Léman. "Uber paie Pégase Léman et ensuite Pégase nous paie", explique-t-il.
Ou pas. Si Uber a bien réglé les sommes dues (en soustrayant un pourcentage de 26%), elles ne sont pas toujours parvenues jusqu'aux principaux intéressés. L'enquête du 19h30 de la RTS mardi montre qu'à Genève au moins deux sociétés jouent les intermédiaires en engageant des chauffeurs frontaliers sans respecter le droit du travail. Elles fournissent des permis de travail et encaissent une marge au passage.
J'ai travaillé des nuits entières, de 19h à 5h45 du matin, 6 jours sur 7, pour 2500 francs par mois
Comme une quinzaine d'autres collègues frontaliers et suisses, Karim raconte ainsi ne pas avoir reçu son salaire à plusieurs reprises. D'autres fois, le montant versé était en deçà de ce que prévoyait le contrat de travail, soit 3000 francs par mois. "J'ai travaillé des nuits entières, de 19h à 5h45 du matin, 6 jours sur 7, pour 2500 francs par mois", relate-t-il, assimilant ce traitement à une forme d'"esclavage".
"Situation très grave"
Le syndicat Unia dit avoir constaté une série de violations des réglementations en vigueur, tant sur "le droit social que sur celui du travail". "La situation des chauffeurs employés par les sociétés partenaires d'Uber est très grave, presque dramatique du point de vue économique et familial", affirme Umberto Banderia, responsable Transports chez Unia.
Outre les salaires impayés, le syndicat pointe, notamment, le dépassement de la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures contre les 45 heures autorisées, ainsi que la non-inscription du personnel auprès des assurances sociales. "Je n'ai pas de cotisations sociales, je n'ai pas d'AVS", dit Francis, également employé par Uber via Pégase Léman.
Si ces violations présumées sont le fait des sous-traitants, Unia n'hésite pas à mettre en avant la responsabilité "complète" d'Uber. "Bien qu'ayant annoncé vouloir professionnaliser ses propres chauffeurs, Uber propose aux candidats de passer par des entreprises partenaires, appuie Umberto Bandiera. Or ces personnes travaillent exclusivement pour la clientèle d'Uber."
Uber porte une "attention particulière"
Contactée, l'entreprise américaine brandit sa ligne de défense habituelle, à savoir que les chauffeurs utilisant la plateforme ne sont pas ses employés. Dans une réponse adressée par courriel, Uber dit toutefois "tenir à s'assurer que tout partenaire agisse en conformité avec la loi et les règles applicables, et par conséquent porte une attention particulière aux allégations portées".
Du côté des sous-traitants, on assure être en train de se mettre aux normes. Pégase Léman ne nie rien et attribue ces dysfonctionnements à un "conflit" entre les différents associés de la société. Quant à la seconde entreprise mise en cause, Starlimoluxe, elle avance un "problème avec un comptable".
Grève décidée
Depuis le mois de juillet, une nouvelle loi réglemente à Genève l'activité des taxis et des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) comme Uber. "Elle déploiera entièrement ses effets au 1er janvier", note le conseiller d'Etat Pierre Maudet qui a beaucoup oeuvré à son élaboration. Le chef du Département genevois de la sécurité et de l'économie insiste sur le fait que la nouvelle loi "ne parle pas du droit du travail". "S'il y a des violations, ce sera poursuivi, comme pour n'importe quelle entreprise", ajoute-t-il.
Les chauffeurs Uber n'attendront pas une éventuelle décision de justice. Réunis mardi soir, plusieurs dizaines d'entre eux ont décidé de se mettre en grève.
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