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"La parole des victimes de Tariq Ramadan n'a pas beaucoup de poids"

Le collège de Saussure à Genève, vu du ciel. [CC-BY-SA - Alexey M.]
"La parole des victimes de Tariq Ramadan n'a pas beaucoup de poids" / La Matinale / 6 min. / le 24 avril 2018
Une femme se disant victime de Tariq Ramadan témoigne. Elève de l'islamologue alors qu'elle étudiait au Collège de Saussure à Genève, elle n'a pas pu porter plainte. Son psychiatre invoque un cas d'abus psychologique grave.

A ce jour, cinq femmes - trois en France, une aux Etats-Unis et une en Suisse - ont porté plainte contre Tariq Ramadan, incarcéré en France depuis février et mis en examen pour viol et viol sur personne vulnérable.

>> Lire : Tariq Ramadan aurait reconnu une relation avec une plaignante en France

Une femme, qui n'a pas pu porter plainte, témoigne mardi dans La Matinale de la RTS de l'emprise de l'islamologue genevois lorsqu'elle était son élève au Collège de Saussure. Alors âgée de 17 ans, elle se souvient d'une relation d'abord platonique, qui se transformera en liaison deux ans plus tard.

Suivre aujourd'hui l'évolution de l'affaire Ramadan ne rend pas les choses plus simples. "Je ne peux pas dire que ça me soulage; ça renforce le sentiment que la parole des personnes qui ont été victimes de Tariq Ramadan n'a pas beaucoup de poids."

"C'est difficile quand on se déclare victime de ne pas perdre son identité", témoigne-t-elle. "Pour ma part, c'est une démarche qui me coûte beaucoup. Ca provoque beaucoup de remous dans mon entourage et le regard qu'on reçoit n'est pas forcément bienveillant."

"Il n'y a pas eu de protection de la part du collège"

Malgré ces difficultés, elle a entrepris des démarches pour déposer une plainte. "J'ai essayé par plusieurs façons d'ajouter ma voix à celles des autres victimes. Ca n'a pas été reçu. Etant donné que j'étais majeure au moment des faits, ça ne rentre pas dans le cadre pénal suisse et il n'y a absolument rien à faire."

Elle regrette que la période précédant sa majorité, lorsque l'emprise de Tariq Ramadan a commencé, ne soit pas prise en compte. "Les abus dans les faits se sont peut-être produits quand je n'étais plus son élève, donc (c'est) comme si le collège n'était pas responsable. Mais (...) l'emprise psychologique a commencé le premier jour de la rentrée. La relation a rapidement débordé du cadre et comme j'étais une enfant fragile, j'ai rapidement, je pense, été repérée."

Et d'ajouter: "Tout s'est mis en place pendant que j'étais son élève. J'étais encore mineure, et là il n'y a pas eu de protection de la part du collège." Cette situation, selon elle, a conduit aux abus. "Sans ces années-là, jamais plus tard je n'aurais été abusée. C'est quelque chose qui est intolérable et qui ne doit pas se produire au sein d'une institution publique."

"On a besoin de la protection des adultes"

Cette femme dénonce l'hypocrisie qui règne au sein du Département genevois de l'instruction publique (DIP). "Les rôles sont complètement inversés. On renforce les cours de prévention pour que les enfants refusent certains actes de la part des adultes, on met en place des lignes d'écoute pour que les personnes quand même abusées puissent appeler et se signaler... Mais ce qu'on oublie, c'est que ce n'est pas aux personnes victimes ou déjà fragiles de se protéger elles-mêmes."

"On a besoin de la protection des adultes, d'autant plus des enseignants, des doyens et des directeurs d'établissement. C'est à eux, s'ils entendent des rumeurs, d'investiguer." Et de souligner la difficulté d'en parler. "C'est extrêmement difficile de mettre des mots sur ce qui se passe et d'avoir confiance aux personnes à qui on en parle. On nous dit 'pourquoi t'as pas dit non? Est-ce que t'en as pas tiré avantage?'"

Laetitia Guinand/lgr

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