Posté en bout de piste de Cointrin, Nolan Jungo est un photographe passionné d'aviation, et il connaît bien les avions des grosses fortunes. "C'est un Boeing 777-200LR", indique-t-il en montrant un jet arrivé à Genève. "Il est immatriculé aux Caïmans et appartient à un prince saoudien, le prince Fahd".
"C'est l'un des plus gros appareils privés que l'on voit sur le tarmac de Genève", précise Nolan Jungo qui souligne que "normalement, c'est un avion qui peut transporter entre 250 et 300 personnes. Là, c'est un jet privé pour une seule personne".
Autre géant privé, "Bourkhan" est un Airbus A340-300 et un des plus gros jets privés au monde. Sa valeur: plus de 300 millions de francs. Cet appareil, détenu par Alisher Ousmanov, s'est posé cinq fois à Genève en 2017. L'oligarque russe, dont la fortune est estimée à plus de 14 milliards de francs, est domicilié dans le canton de Vaud.
L'immatriculation commençant par un "M" indique que l'Airbus est enregistré sur l'île de Man paradis fiscal de l'aviation où il est possible de se faire rembourser la TVA sur l'achat de jets importés en Europe.
Rybolovlev et... Constantin
Parmi les habitués de Cointrin, on retrouve l'immatriculation "M-KATE", affichée par l'avion du milliardaire russe Dmitry Rybolovlev, propriétaire du club de football de l'AS Monaco (cinq séjours en 2017). Un autre appareil familier de la piste de Cointrin, avec des voyages quasi mensuels, est le Boeing 737 du gouvernement du Kazakhstan. La fille du président kazakh vit à Genève et se déplace régulièrement dans cet avion, enregistré à Aruba.
Les riches étrangers ne sont pas les seuls à arborer d'exotiques immatriculations. Le Piaggio Avanti de Christian Constantin, promoteur immobilier et président du FC Sion qui passe souvent par Genève, appartient à une société domiciliée aux îles Vierges des Etats-Unis.
Des milliers de séjours genevois
Le journaliste François Pilet, qui traque les mouvements des avions des potentats à Cointrin à l'aide d'un bot Twitter, fait un décompte: "Pour l'année 2017, les avions de l'île de Man se sont posés plus de 1500 fois à Genève. Pour ceux des Caïmans, c'est 1200 séjours. Aruba près de 400 séjours".
"Ce sont des centaines de millions d’euros de revenus fiscaux qui ne sont pas payés", relève François Pilet. "C’est choquant parce que ces avions volent dans l’espace aérien européen, ils utilisent les infrastructures et ils n’en payent pas le coût", souligne-t-il.
À Genève, l’aviation d’affaires représente 22% du trafic, mais seulement 1% des passagers et 3% des revenus de la plateforme. La majorité de ces jets privés sont immatriculés en Europe, ils transportent des chefs d’entreprises ou des diplomates, qui participent au dynamisme de la région.
"Nous ne sommes pas contrôleur fiscal"
Face aux immatriculations exotiques, le patron de l'aéroport de Genève recadre son travail: "Notre job est de faire atterrir et décoller des avions", explique André Schneider. "La seule chose que l'on doit vérifier, c'est que les appareils sont dans un état qui leur permettent de voler et atterrir de manière sûre", résume-t-il.
"Les paradis fiscaux ont aussi des lois, et on part du fait que ces lois sont a priori appliquées. Nous ne sommes pas un contrôleur fiscal", conclut-il.
Yann Dieuaide/mre
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