Les autorités de Taïwan ont mis la main au porte-monnaie pour recevoir des députés genevois ces dernières années, via la délégation culturelle et économique de Taipeï, basée à Genève. Au programme de ces escapades: la découverte de l'île, de ses installations ou encore de ses entreprises, le tout souvent couplé à des rencontres avec de hauts dignitaires politiques. Le vol aller-retour, le logement, la plupart des repas et des déplacements sur l’île étaient défrayés.
Au total, une cinquantaine d’élus au moins auraient participé à ces voyages, organisés presque chaque année sur une semaine environ, entre 2003 et 2016.
Une cinquantaine d'élus
Les députés concernés sont principalement issus de la droite, avec des noms bien connus de la vie politique genevoise. On peut notamment citer l’actuel président du Gand Conseil, le PLR Jean Romain ou, dans le même parti, les députés Murat Alder et Antoine Barde. Côté PDC, il y a eu le nouveau président cantonal Vincent Maître ou la députée Anne-Marie Von Arx. L'ancien élu cantonal et actuel conseiller national UDC Yves Nidegger ou encore Thierry Cerutti du MCG y ont aussi participé.
A gauche, on s'est visiblement montré plus réticent aux appels du pied taïwanais: seul l’ancien élu vert Roberto Broggini a confirmé à la RTS avoir participé à un de ces déplacements.
Des voyages considérés comme privés
Côté genevois, aucune des visites n’a été signalée au bureau du Grand Conseil, qui gère ce genre d’affaires. Ces voyages ne sont donc pas considérés comme officiels, mais bien privés. Pourtant, c'est avec leurs casquettes de députés que les élus étaient reçus à Taïwan, aux frais des autorités. La majorité des élus contactés ne s’en cachent d’ailleurs pas.
La manière de faire fait débat au sein du Grand Conseil, et notamment à gauche, où l'on parle de véritable cadeau. "Un voyage payé crée forcément une attente en retour", affirme l’ancien chef du groupe socialiste, Romain de Sainte-Marie. Le chef de groupe des Verts Matthias Buschbeck tire le même constat.
Je ne dis pas que ces voyages sont problématiques parce que le règlement du Grand Conseil ne prévoit rien.
Interrogé dans l'émission Forum, le député PDC Jean-Marc Guinchard confirme avoir été approché à trois reprises pour participer à ces voyages vers Taïwan. "J'ai refusé parce que j'étais vice-président, puis président du Grand Conseil, et enfin simple député. J'estimais que j'appartenais à l'institution, et que l'institution n'avait pas à être représentée de manière officielle dans un pays qui n'est pas reconnu officiellement par la Confédération (...) et que, d'autre part, les activités diplomatiques sont réservées au Conseil d'Etat", explique-t-il.
Jean-Marc Guinchard précise qu'il n'y a pas eu "de débat jusqu'ici" au sein de son parti. "Je ne dis pas que ces voyages sont problématiques parce que le règlement du Grand Conseil ne prévoit rien (...). Chaque député peut prendre ses responsabilités et estimer si oui ou non le voyage qu'il va accomplir sert les intérêts de la République", ajoute-t-il.
Un cadeau ou non?
Les participants, eux, se défendent: il n’y a eu aucune demande en contrepartie et ces voyages étaient axés avant tout sur le travail et sur des échanges de points de vue.
Ces déplacements peuvent-ils être considérés comme un cadeau ou non? L'interrogation est légitime, surtout actuellement à Genève, à l'heure de l’affaire Pierre Maudet, prévenu pour "acceptation d'avantage" pour son voyage controversé à Abu Dhabi fin 2015.
Et si les règles sont claires à ce sujet pour les conseillers d’Etat, il en va tout autrement pour les députés au Grand Conseil. En fait, il n’existe aucune base légale à ce sujet. Les députés genevois partis aux frais de Taïwan n’ont donc bafoué aucune règle.
Adrien Krause/jvia
Une motion sur les cadeaux aux élus dans le canton de Vaud
Ces voyages peuvent-ils être considérés comme un cadeau? La question de ce qui est acceptable ou non par un député va continuer de faire débat, et pas seulement à Genève. Une motion a été récemment déposée en ce sens dans le canton de Vaud pour fixer clairement les règles.
Les Verts vaudois disent vouloir mettre un terme au flou actuel qui alimente la méfiance à l'égard de la classe politique après les interrogations et soupçons d'acceptation d'avantages qui entourent certains élus, comme le ministre des Finances Pascal Broulis dans le canton de Vaud ou le conseiller d'Etat Pierre Maudet à Genève.