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Plus de 20 ans après des délits de mineurs, la police jurassienne conserve encore des fiches

Des fiches de police conservent indûment d'anciennes données. Enquête dans le canton du Jura.
Des fiches de police conservent indûment d'anciennes données. Enquête dans le canton du Jura. / 19h30 / 2 min. / le 14 juin 2022
Dans le canton du Jura, des petits délits commis par des mineurs il y a plus de 20 ans sont encore répertoriés dans des fiches de la police, révèle mardi la RTS. Cela pose des questions légales et de protection des données.

Un petit larcin, une bagarre dans une fête, de nombreux adolescents sont passés par là. Mais ils ne se doutent pas que des traces peuvent rester dans les fichiers de la police.

Comme toutes les polices romandes, le Jura travaille avec une base de données, Infopol, commune avec le canton de Neuchâtel. Tous les agents cantonaux et municipaux ont accès à cette base, ainsi qu'une partie du personnel administratif. Sur la base d'un nom, on retrouve l'historique de la personne avec les forces de l'ordre.

Selon l'enquête de la RTS, une personne qui a été prévenue dans une affaire, même de petite ampleur et même si elle était encore mineure à l'époque, peut toujours avoir une fiche à son nom dans cette base de données des décennies plus tard.

C'est ce qu'ont confirmé plusieurs agents encore en fonction, dont l'un a témoigné anonymement dans le 19h30. "Les dossiers complets sont accessibles, on y trouve par exemple des auditions, les mandats d'investigations, les prises d'ADN ou les dossiers photos (…). Des mineurs au moment des faits figurent toujours dans la base de données, alors que les délits datent d'avant les années 2000", raconte-t-il.

Même si nombre de ces délits sont prescrits, l'existence de la fiche peut avoir une influence, relève l'agent: "En cas de contrôle d'identité, dans la rue ou dans un contrôle de la circulation, si la personne est connue dans le système pour différents délits, le policier peut investiguer davantage, et par exemple faire vider les poches ou faire une fouille sommaire. Il existe des mots-clés pour indiquer aux agents sur le terrain pour quelle raison la personne est connue".

Loi sujette à interprétation et ordonnance inexistante

La loi jurassienne indique que la police peut conserver des données de ce type si celles-ci sont "nécessaires à l'accomplissement des tâches de police", au maximum durant 50 ans. Mais si elles ne sont plus considérées comme utiles, elles doivent être effacées. Reste à définir ce qu'est une "information utile". La loi précise encore que "les durées de conservation sont définies par une ordonnance". Or, celle-ci n'existe pas.

Interrogée à ce sujet, Nathalie Barthoulot, la ministre en charge de la police, a confirmé que cette ordonnance n'avait jamais été rédigée, et qu'elle allait rapidement prendre des mesures pour y remédier.

Damien Rérat, commandant de la police jurassienne, confirme la présence d'anciennes fiches dans la base de données, mais tient à relativiser. Il rappelle que cette base de données est strictement à usage interne de la police, et que si une personne concernée souhaite être radiée, elle peut en faire la demande via une procédure simple et gratuite.

Le Jura pas seul concerné

La problématique n'est pas propre au canton du Jura. Neuchâtel utilise le même système de base de données, et celui-ci date d'avant les années 2000, époque à laquelle la protection des données était une préoccupation moins grande.

Selon Sébastien Fanti, préposé valaisan à la protection des données, d'autres régions pourraient être concernées. "Je doute que les règles légales soient respectées dans tous les cantons. Sur la base de mon expérience personnelle, je ne pense pas que cela soit le cas. Il doit y avoir un exercice de conscience à entreprendre suite à une affaire comme celle-là, car si la base est piratée et que des informations sortent, cela va poser des problèmes".

Les cantons de Neuchâtel et du Jura travaillent actuellement sur un nouveau système qui devrait être opérationnel d'ici quelques années.

>> Les explications de Cédric Adrover dans le 19h30 :

Fiches de police conservées trop longtemps: les explications de Cédric Adrover
Fiches de police conservées trop longtemps: les explications de Cédric Adrover / 19h30 / 1 min. / le 14 juin 2022

Cédric Adrover/lan

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Des agents sous pression dans la Jura

Dans le cadre de l'enquête de la RTS, plusieurs agents jurassiens ont fait part d'une charge de travail en réelle augmentation, particulièrement pour les agents de terrain. En cause notamment, une réorganisation en 2015 qui pousse à davantage de polyvalence. "On se sent étiré, parfois sorti de nos compétences réelles. On a peur de devenir moyen partout au lieu d'être excellent dans un domaine", explique un agent sous couvert de l'anonymat.

Pour Damien Rérat, Commandant de la police jurassienne, la polyvalence police-secours / police de proximité est un argument davantage qu'un inconvénient. Selon lui, plusieurs agents d'autres cantons postulent car ils sont cantonnés dans des "silos" de compétences dans d'autres corps. Quant à l'effectif général, il est dans la moyenne nationale. Il ajoute encore qu'il n'y a pas de difficultés à recruter pour les postes vacants.

Le syndicat jurassien de la Police, de son côté, demande davantage de moyens. Pour démontrer la pénibilité du travail et la difficulté de concilier vie privée et professionnelle, on évoque "une vague de démissions jamais vue depuis 2015, plus de 30 sur un effectif de 155"..

La RTS a comparé le nombre de départs volontaires entre les différents corps de police romands. Selon les chiffres obtenus et sur les 10 dernières années, le Jura semble bien avoir un des taux de démissions les plus élevés, juste devant Neuchâtel. Deux fois plus que dans d'autres corps de police comme Vaud, Genève ou le Valais.