Le Jura enregistre le taux de logements vides, maisons et appartements confondus, le plus élevé du pays: près de 3% en 2022. Et ce n'est pas le seul record du canton en matière de logements. Dans le Jura, qui compte plus de propriétaires que de locataires, les loyers sont les moins chers du pays. Il faut débourser un peu plus de 1000 francs par mois pour le même appartement qui serait loué 1700 francs dans le canton de Vaud, voire plus du double à Genève.
Dans un canton où la démographie est plutôt stagnante, on trouve encore de nombreux terrains pas trop chers. Et les investisseurs ont aussi profité des taux bas de ces dernières années pour se lancer dans des projets très importants.
"Depuis trois-quatre ans, on constate beaucoup de constructions, de locatifs notamment, des investissements qui viennent pour beaucoup de l'extérieur", note Alain Schweingruber, président sortant de l’Association des propriétaires fonciers, interrogé vendredi dans La Matinale. "J'imagine qu'il est sans doute trop difficile d'investir dans certaines régions, comme Zurich, Lausanne ou Genève. Ici, les conditions sont favorables", avance-t-il.
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Les logements anciens boudés
Le phénomène n’est pas nouveau. En 25 ans, le nombre de logements vacants a plus que doublé dans le canton du Jura. Aujourd’hui, rien qu’à Delémont, ce sont des centaines de biens nouvellement construits qui se retrouvent sur le marché, parfois au détriment d’anciens logements.
"Les gens doivent placer de l'argent. Cela engendre beaucoup de constructions neuves, au détriment des anciennes", estime Luce Vauclair, gérante d'immeubles à Delémont. "Les anciens immeubles, qui sont entretenus pour beaucoup, ne correspondent plus à ce que les gens recherchent. Comme ils ont la possibilité d'aller dans du neuf, puisqu'il y a beaucoup de vacance dans le Jura, ce sont des appartements qui se vident et ne se remplissent pas par la suite", analyse-t-elle.
C’est donc un peu l’histoire du serpent qui se mange la queue. Pour Noémie Chiffelle Lachat, juriste de l’Asloca Jura, il faut ajouter la réalité du terrain, avec de nombreux logements qui ne sont pas assez attractifs. "Les loyers sont assez élevés par rapport à notre pouvoir d'achat. On voit peu de personnes qui viennent d'autres cantons s'installer chez nous, même s'il y a pénurie ailleurs. Et même si on essaie de mettre la qualité de vie en premier, cela ne fonctionne pas, pour l'instant en tout cas", développe-t-elle.
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Un risque pour la rentabilité de l'immobilier
Le risque est élevé de voir cette situation peser sur le rendement des immeubles. "A un moment donné, cela peut provoquer une pression sur le prix de l'immobilier, notamment sur celui de rendement. La valeur d'un immeuble de rendement est basée sur les revenus locatifs. Un taux de vacance important peut peser sur la valeur du rendement des immeubles et également sur la dette qui est liée, en nécessitant des amortissements plus conséquents", explique Grégory Chapuis, responsable du secteur crédit de la Banque cantonale du Jura.
Seule certitude, la construction de logements neufs devrait forcément ralentir dans le Jura. Le peuple suisse a voté il y a dix ans la révision de la Loi sur l'aménagement du territoire, avec pour conséquence une réduction du nombre de terrains à bâtir.
Un canton qui ne manque pas d'atouts
Et que faire de tous ces logements vides? Selon Nicolas Babey, professeur à la Haute école de gestion Arc à Neuchâtel et spécialiste du développement territorial, le Jura pourrait profiter d’un avantage certain si l’engouement pour les circuits courts et l’économie circulaire devait se confirmer.
"Cela voudra dire relocaliser des chaînes de valeur et des emplois. On peut penser que le canton du Jura est finalement assez bien mis, avec une série d'atouts que d'autres cantons n'ont plus", soutient Nicolas Babey.
"Il a par exemple de l'espace, des chaînes de valeur qui sont encore complètes, dans le domaine du bois, de l'agriculture notamment. En plus, il a une qualité paysagère qui est assez remarquable. Et il se situe à proximité de métropoles telles que Bâle. C'est une série d'avantages qui devraient faire l'objet de réflexions participatives élaborées sur des scénarios prospectifs", détaille-t-il. Finalement, ce taux jurassien de logements vacants pourrait donc être un atout.
Gaël Klein/ami