Consternation dans le Jura: la nouvelle ligne Bienne-Delle-Belfort sera coupée à la frontière dès 2025
Le canton du Jura, qui dit regretter cette décision, a rappelé mercredi qu'il s'était beaucoup engagé en faveur de cette desserte, entièrement sur territoire français. La Confédération et le Jura avaient en effet investi plus de 30 millions de francs dans la réouverture de cette ligne fermée durant 25 ans, faisant une exception au principe de territorialité.
Depuis décembre 2018, les voyageurs pouvaient prendre le train à Bienne et rejoindre la gare TGV de Belfort-Montbéliard via Delémont, Porrentruy et Delle sans changement. Cette réhabilitation permettait à la région jurassienne d'être directement raccordée au réseau TGV européen et à la France de bénéficier d'une nouvelle offre pour les travailleurs frontaliers et pour le transport scolaire.
>> Lire à ce sujet : La ligne Bienne-Belfort a été inaugurée 25 ans après avoir été fermée
Une amélioration semblait sur les rails
Le canton du Jura et la Région Bourgogne-Franche-Comté avaient pourtant lancé récemment un projet intitulé "Convergence 2026". Il prévoyait d'introduire en décembre 2025 sur cette liaison transfrontalière des trains circulant toutes les demi-heures et sans changement de Delémont jusqu'à Belfort-Ville.
Mais les responsables français ont fait part en mai dernier de leur refus de collaborer à l'étude et de poursuivre ce projet. La région a décidé de renoncer à l'exploitation commune et de privilégier une exploitation distincte entre la France et la Suisse, impliquant l'obligation de changer de train à la frontière à Delle.
Les autorités suisses souhaitent désormais que les responsables français proposent sur leur territoire une offre ferroviaire qui assure des correspondances de qualité et pérennes à l'arrivée des trains suisses à Delle, jusqu'à la gare TGV de Belfort-Montbéliard puis jusqu'à Belfort-Ville.
Liaison jamais pleinement opérationnelle
Depuis sa remise en service en décembre 2018, la fréquentation de la ligne n'a jamais vraiment décollé, notamment parce que l'horaire présente des difficultés de compréhension par la clientèle en raison de son irrégularité. En outre, il était impossible de rejoindre directement la ville de Belfort depuis la Suisse: un changement à la gare TGV de Belfort, située en périphérie, était nécessaire, avec une correspondance pas toujours adéquate.
L'exploitation a en outre été continuellement perturbée depuis la réouverture de la ligne. Des travaux lors des deux premières années, la pandémie de Covid-19 et un manque de matériel roulant ont conduit la SNCF à supprimer régulièrement des trains.
Le tarif prohibitif mis en place par la SNCF a aussi été pointé du doigt par le département du Territoire de Belfort, de même que la desserte très limitée le week-end et durant les vacances scolaires. Ainsi, selon l'horaire CFF pour juillet-août, aucun train ne circule par exemple de Porrentruy vers Belfort entre 8h22 et 13h22, de même qu'entre 13h22 et 17h22.
>> Lire à ce sujet : Des couacs sur la ligne de train Delle-Belfort deux mois après son ouverture
ats/Vincent Cherpillod
Un problème d'approche face à la voiture aux yeux de Charles Juillard
Le maire de Bienne Erich Fehr a vivement réagi cette semaine à la décision de la Bourgogne-Franche-Comté, évoquant dans le Journal du Jura une décision "complètement débile".
"C'est regrettable pour notre région", a pour sa part jugé plus modestement le conseiller aux Etats Charles Juillard (Centre/JU) dans Forum dimanche soir. "La Bourgogne-Franche-Comté semble assez déterminée à couper le financement, pour des raisons qui nous échappent encore un peu. Mais on peut toujours espérer rediscuter avec nos partenaires français", a-t-il poursuivi, même s'il note que le Jura s'est déjà "beaucoup investi pour proposer une amélioration" de la ligne.
Une région française trop orientée vers Paris?
Charles Juillard regrette aussi la réduction récente du nombre de régions françaises, qui a entraîné la fusion de la région Franche-Comté avec la Bourgogne. "On sent bien, ici, que le fait d'avoir créé cette grande région donne une nouvelle politique beaucoup plus orientée vers Paris que vers la frontière. C'est peut-être aussi l'une des raisons qui font que l'on a apporté moins d'attention à cette ligne", estime-t-il.
"Notre idée était d'offrir une alternative crédible [aux pendulaires qui viennent travailler en voiture], avec une ligne de train qui aurait permis de rassembler les frontaliers depuis Belfort jusqu'à Delémont [...]", rappelle le conseiller aux Etats, qui pointe un véritable problème culturel entre la France et la Suisse.
Manque d'efforts côté français
"L'approche vis-à-vis de la voiture pour les Français - et c'est déjà le cas pour les Jurassiens! - n'est pas du tout la même que pour les Suisses, en moyenne. Nous avons affaire à des gens beaucoup plus individualistes, beaucoup plus attachés à leur voiture, à leur liberté en voiture", constate-t-il, avant d'ajouter avec dépit que si "des efforts" avaient été faits au niveau de la régularité de l'offre du côté français, "on n'en serait pas là" aujourd'hui.