Le chantre du biomimétisme Idriss Aberkane sous enquête en Suisse pour gestion déloyale

Idriss Aberkane, 34 ans, présente un CV qui en impose. Trois doctorats, des centaines de conférences données dans le monde entier, un fort rayonnement médiatique et aussi quelques polémiques sur sa qualité de scientifique. Chantre du biomimétisme et de la "neurosagesse", il a aussi lancé une start-up, General Bionics, en 2018 dans un bâtiment high-tech du littoral neuchâtelois.

Le lien avec la région s'est noué à travers un jeune Neuchâtelois ami de sa famille. Mais la belle aventure humaine et entrepreneuriale va rapidement sombrer. General Bionics a discrètement fermé à l'automne 2019. Il reste une fondation, Bioniria, domiciliée à Neuchâtel. Mais ses avoirs comme tous les autres comptes d'Idriss Aberkane en Suisse sont gelés par la justice neuchâteloise en raison d'une enquête en cours sur des soupçons de gestion déloyale.

Des associés traités de "racketteurs"

Comment tout a si vite et si mal tourné? Aucun témoin n'accepte de s'exprimer à visage découvert. Mais les avis se rejoignent pour décrire un Idriss Aberkane certes surdoué, bourré de bonnes idées mais à la personnalité assez envahissante et explosive.

Sa start-up censée s'inspirer de la nature devait tout à la fois produire une boisson naturelle, développer un jeu pour apprendre les langues ou encore résoudre des problèmes mathématiques. Un client sérieux a été trouvé pour le jeu vidéo, mais les dissensions internes ont eu raison du projet.

Contacté ainsi que son avocat, Idriss Aberkane ne nous a pas accordé d'interview, car il exige à la place un débat où il dit vouloir notamment aborder les problèmes de harcèlement à la RTS. Ce n'est pas le sujet.

Mais pour connaître sa position, il suffit de surfer sur les réseaux sociaux où il est très présent et très suivi avec plus de 200'000 abonnés à sa chaîne Youtube. Pour lui, tout est la faute de ses associés successifs. Il voit en eux "un groupuscule d'apprentis racketteurs" qui auraient notamment tenté de lui faire signer des reconnaissances de dettes infondées.

Le Ministère public neuchâtelois confirme

Parmi les personnes visées par Idriss Aberkane et contre qui, pour certaines, il a déposé des plaintes pénales, on retrouve le jeune ami de sa famille, deux autres associés et un couple neuchâtelois qui a prêté de l'argent à l'entreprise.

Contactées, ces cinq personnes refusent de s'exprimer publiquement pour l'instant, mais disent rejeter toute faute et s'estiment flouées à hauteur de centaines de milliers de francs. C'est d'ailleurs la dénonciation de créanciers qui a déclenché l'enquête qui vise, elle, Idriss Aberkane.

Pour l'heure, le Ministère public neuchâtelois ne confirme que l'inculpation d'Idriss Aberkane pour gestion déloyale. Il est soupçonné d'avoir confondu ses comptes privés et ceux de la société, notamment pour payer ses impôts en France.

Seule une plainte d'Aberkane contre ses anciens associés a été instruite pour l'instant. Le jeune associé de départ doit être renvoyé prochainement devant un tribunal pour de prétendues malversations, mais le Parquet l'estime innocent et recommande l'acquittement. Au niveau civil, d'anciens employés – il y en a eu jusqu'à une trentaine au sein de General Bionics - réclament des salaires impayés.

La promotion économique a renoncé à tout soutien

La promotion économique du canton a aussi failli s'investir dans l'aventure, mais le ministre de l'Economie Jean-Nat Karakash nous a confirmé que "le canton a rapidement exclu toute idée de soutien ou de collaboration au vu de l'attitude de l'intéressé". Le divorce semble donc consommé entre Neuchâtel et la star française. Et Idriss Aberkane le prend mal. Il multiplie en ce moment les vidéos où il dénonce pêle-mêle le cynisme et la corruption des autorités suisses, de la RTS et de certaines multinationales suisses.

Selon lui, le gel de ses avoirs a prétérité l'action humanitaire de sa fondation Bioniria en faveur d'un village peul au Sénégal. Il incrimine donc la Suisse entière et dit avoir écrit au Conseil fédéral pour demander réparation au nom de 174 femmes peules. Dans ce courrier, elles accusent de tous les maux (corruption, faux dans les titres, xénophobie, etc.) la procureure en charge de l'affaire à Neuchâtel.

La Confédération n'est donc pas concernée. De son côté, le procureur général neuchâtelois Pierre Aubert n'estime pas nécessaire de réagir, tant pour lui les accusations d'Aberkane sont "fantaisistes". L'enquête pour gestion déloyale, elle, se poursuit.

Ludovic Rocchi