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Prises d'otages et cambriolages dans l'horlogerie, un traumatisme pour l'Arc jurassien

Prise d’otages au Locle
Prise d’otages au Locle / Mise au point / 11 min. / le 16 janvier 2022
Comme il y a une dizaine de jours au Locle, plusieurs PME actives dans l'horlogerie ont été victimes de cambriolages ces dernières années, parfois avec prises d'otages. Si le butin est souvent retrouvé, ces attaques mettent en évidence des lacunes en matière de sécurité et génèrent des traumatismes durables chez les victimes.

"J'étais dévasté, c'était la pire journée de ma vie": pour le conservateur du musée Girard-Perregaux Willy Schweizer, le souvenir du cambriolage vécu par son institution en 2007 reste vif bien des années plus tard, et ce même s'il n'était pas personnellement présent lors de l'attaque.

Depuis lors, une petite dizaine de cambriolages d'envergure ont touché le milieu horloger de l'Arc jurassien, ce qui est relativement peu vu l'attrait qu'il suscite. Mais chacun d'entre eux empoisonne la vie quotidienne de la profession, qui représente un emploi sur cinq dans la région, et laisse des souvenirs douloureux aux patrons, aux employés et à leurs familles.

Peu de victimes acceptent de témoigner, même longtemps après les faits, et certaines souhaiteraient que l'on cesse d'en parler, estimant que cela ne fait qu'attiser les braises. Interrogé dans Mise au Point, Michel Girardet, adjudant du groupe opérations de la police neuchâteloise, comprend ce point de vue: "Pour les victimes, la discrétion est une stratégie pour se protéger."

Une scène de guerre

Au Locle (NE), le 6 janvier dernier, un employé d'une boîte de sous-traitance horlogère est pris en otage avec sa compagne chez lui à La Chaux-de-Fonds. Sous la menace de deux ravisseurs armés, ils sont conduits dans leur usine au Locle, où deux autres employés sont séquestrés, et sont contraints d’ouvrir les coffres qui renferment l’or pour les montres. Par la suite, les malfrats ont aussi attaqué une femme pour fuir avec sa voiture.

>> Lire aussi : Quatre personnes prises en otage dans une entreprise du Locle, les malfrats arrêtés à Pontarlier

Cette affaire s'est bien terminée, car les ravisseurs forcés de fuir n’ont pas touché à l’or dans les coffres et ont ensuite été arrêtés en France voisine, à Pontarlier. Mais pour les victimes, le traumatisme durera assurément longtemps. Et même pour les voisins de la firme, qui ont assisté à un déferlement de policiers et auxquels il a été demandé de ne pas sortir avant la fin de l'opération. Robert confie s'être cru "en guerre": "Les policiers étaient très nerveux (...) ils ont fait peur à ma famille, à tout le quartier."

Les policiers étaient très nerveux (...) ils ont fait peur à ma famille, à tout le quartier

Robert, témoin du cambriolage du Locle

Auparavant, en novembre dernier, des malfrats ont pris en otage un directeur d'entreprise et l'ensemble de sa famille à Bassecourt (JU) avant de voler des quantités d'or stockées dans l'entreprise. Ils s'étaient ensuite enfuis en France. A La Chaux-de-Fonds en 2011 et 2018, au Noirmont et à Courtemaîche (JU) en 2012, d'autres entreprises ont été attaquées de manière similaire. Avec, toujours, des souvenirs à vif et des angoisses à long terme pour les victimes, mais aussi un malaise qui perdure dans l'Arc jurassien.

>> Lire aussi : Prise d'otage d'un chef d'entreprise et de sa famille dans le Jura

Réaction rapide de la police

Au-delà des traumatismes, ces attaques qui se multiplient soulèvent des critiques sur les actions et réactions de la police et surtout mettent en évidence certaines lacunes de sécurité dans cette région transfrontalière.

De son côté, la police affirme agir au plus vite dans le cas du Locle: dès la confirmation de la prise d'otages, des mesures sont prises et de nombreuses unités sont déployées, explique Georges-André Lozouet, porte-parole de la police neuchâteloise: "Sachant que nous avons affaire dans ce type d'attaques à des criminels aguerris, le dispositif policier et l'attitude des policiers sont adaptés à la situation. On a ainsi recommandé aux habitants du quartier de rester dans leur domicile, d'éviter le secteur, parce que des hommes armés se trouvent dans la rue."

La collaboration transfrontalière est également très importante. Il existe une plateforme commune aux polices suisse et française qui permet de rapidement transmettre des informations comme le numéro de plaque, la couleur et la marque de la voiture volée, ce qui a permis l'arrestation des malfrats du Locle.

S'il est au final impossible d'éviter à 100% de tels actes, il existe également des moyens de prévention dans les entreprises elles-mêmes. Ceux-ci requièrent évidemment une certaine discrétion, mais il est par exemple préconisé que le directeur n’ait pas l’autorisation d’ouvrir seul le coffre.

>> Les précisions de Raphaël Guillet dans Mise au point :

Raphaël Guillet : "C’est le traumatisme de toute une région"
Raphaël Guillet : "C’est le traumatisme de toute une région" / Mise au point / 3 min. / le 16 janvier 2022

Une sécurité à améliorer

Au niveau de la sécurité de ces firmes qui brassent de l'or et des pierres précieuses, des améliorations seraient peut-être souhaitables, même si d'importants progrès ont été accomplis ces dernières années. L'ancien politicien Yvan Perrin est désormais consultant en sécurité. A ses yeux, le problème ne concerne pas les grandes enseignes bien connues dans l'Arc jurassien comme Patek Philippe, Audemars Piguet ou Cartier, qui sont bien équipées et auxquelles il est difficile de s'attaquer. "C'est Fort Knox", ajoute-t-il.

Les coûts liés à la sécurité sont trop souvent identifiés comme des coûts parasites

Yvan Perrin

A contrario, estime Yvan Perrin, les PME actives dans la sous-traitance ont un service de sécurité relativement bas, tout en détenant des valeurs importantes, soit "plusieurs facteurs susceptibles d'intéresser les criminels". Et de poursuivre: "Les entreprises rechignent à s'équiper, car le marché est tendu, donc on rogne partout où on peut. Les coûts liés à la sécurité sont trop souvent identifiés comme des coûts parasites.". Et quand on investit des milliers de francs dans un système de sécurité, ce n'est pas de l'argent utile à la production proprement dite.

En outre, quel que soit le niveau de sécurité, qui semblait bonne dans le cas du Locle, il subsiste toujours un point faible sur lequel il est difficile d'agir, note Yvan Perrin: l'élément humain. "C'est pour cela qu'apparaît de plus en plus cette tendance à s'attaquer tout d'abord aux personnes et de les contraindre à ouvrir les portes pour accéder au magot."

Par la voix de l'adjudant Michel Girardet, la police confirme ce point faible: "Le mot d'ordre dans la sécurité, est toujours que les biens sont secondaires, que c'est la sécurité des personnes qui prime. C'est un concept important qui est appliqué partout. "

Avec la valeur de l'or, les cambrioleurs sont prêts à tout

Les cambrioleurs sont prêts à tout pour parvenir à leurs fins. Et quand ils ne s'attaquent pas aux entreprises, ils choisissent les musées de l'horlogerie et leurs pièces de collection serties d’or et de métaux précieux, comme le Musée Girard-Perregaux en 2007. Dans ce cas, les malfrats s'étaient fait passer pour des livreurs et s'étaient fait ouvrir par la personne qui s'occupait du ménage, qui avait été observée pendant longtemps auparavant.

>> Revoir le sujet du 19h30 lors du cambriolage du musée Girard-Perregaux en 2007 :

La Chaux-de-Fonds (NE): la police est toujours en quête d'indices suite au cambriolage du musée Girard-Perregaux
La Chaux-de-Fonds (NE): la police est toujours en quête d'indices suite au cambriolage du musée Girard-Perregaux / 19h30 / 2 min. / le 6 juillet 2007

Dans certains cas, cette surveillance des employés des firmes visées, au domicile, dans leurs hobbys ou leurs habitudes, vise aussi à les recruter, à en faire des complices pour pénétrer plus facilement dans les locaux.

Le problème vient également de l'or lui-même, dont l'origine est difficile à tracer, contrairement aux diamants par exemple. On peut le fondre et on n'en trouve ensuite plus l'origine. Et comme l'or a pris une valeur incroyable - 16'000 francs pour un lingot d'un kilo il y a une vingtaine d'années, 53'000 aujourd'hui - le créneau semble toujours plus séduisant pour les criminels.

Ainsi, entre un facteur humain que les malfrats savent plus facile à exploiter, une sécurité pas toujours optimale, un or qui s'écoule facilement et à bon prix et une frontière plutôt facile à franchir rapidement, ce type de cambriolages avec prises d'otages risque bien de se poursuivre, malgré les efforts de la police. Et à l'heure de la cybercriminalité, ce mode opératoire qui rappelle les braquages mafieux à l'ancienne est aussi frappant que traumatisant pour les victimes et les témoins.

Reportage TV: Raphaël Guillet

Adaptation web: Frédéric Boillat

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