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La mère et le père des jumeaux enlevés à La Chaux-de-Fonds livrent leur version

Enlèvement parental à la Chaux-de-Fonds
Enlèvement parental à la Chaux-de-Fonds / Mise au point / 12 min. / le 30 octobre 2022
Les procédures en cours pour enlèvement international ou protection du droit de visite sont en augmentation en Suisse. Dans l'affaire des jumeaux enlevés par leur père le 14 octobre à La Chaux-de-Fonds, les deux parents ont accepté de donner leur version des faits dans l'émission Mise au point.

Si l'affaire est complexe et que l'enquête de la justice neuchâteloise risque de prendre plusieurs mois, c'est que le conflit entre les ex-conjoints, largement médiatisé dans la presse et sur les réseaux sociaux en Espagne, dure depuis deux ans.

Rappel des faits

Le vendredi 14 octobre vers midi, le père des enfants et deux de ses amis embarquent les jumeaux dans leur voiture. Ils quittent La Chaux-de-Fonds en direction de l'Espagne. La police suisse transmet rapidement l'alerte à la gendarmerie française.

Les cinq occupants de la voiture sont interceptés à une heure de la frontière espagnole et les enfants sont rapatriés en Suisse auprès de leur mère. Le père et les deux complices sont placés sous contrôle judiciaire à Pau, le chef-lieu des Pyrénées Atlantiques. Ils comparaissent le 21 octobre devant la Cour d'appel de Pau.

Deux semaines après l'enlèvement, la Cour rend son verdict et refuse d'extrader le père et les complices vers la Suisse, étant ainsi libres de rejoindre l'Espagne et de voyager dans toute l'Europe, sauf en Suisse. La suite se déroulera devant la justice neuchâteloise où l'enquête devrait prendre des semaines, voire des mois.

La version de la mère

Veronica, aide-soignante de 34 ans, habite à La Chaux-de-Fonds avec ses jumeaux de 7 ans après avoir quitté l'Espagne sans l'accord du père. Elle y est installée depuis un an avec ses parents. Le jour de l'enlèvement, elle était à Genève et sa mère s'occupait des enfants.

"Ma mère m'a appelée et m'a dit que trois hommes cagoulés ont pris les enfants. Ils l'ont frappée et l'ont attachée et j'ai appelé la police. La police est venue tout de suite et, très rapidement, nous avons eu la marque de la voiture afin de mettre en place un dispositif pour retrouver les enfants le plus rapidement possible", explique Veronica.

"J'ai deux enfants qui se réveillent 6 à 7 fois le soir, qui sont traumatisés et qui ne veulent pas sortir dans le jardin pour jouer. Ils ne veulent pas sortir de la maison pour aller au parc et ne veulent même pas aller aux toilettes seuls sans que quelqu'un leur donne la main", raconte-t-elle.

La version du père

José, un informaticien de 35 ans domicilié à Madrid, conteste tous les faits qui lui sont reprochés. Il invoque son droit de visite, accordé par la justice espagnole, dont il est privé depuis 18 mois. "La seule chose que je veux, c'est que la loi soit respectée. J'ai le droit de récupérer mes enfants", plaide-t-il.

"On voulait voir si les enfants allaient bien. On les vus dans le jardin, ils sont venus me saluer, on les a pris et on est parti. Je voulais les prendre en Espagne pendant une semaine, pendant la période des vacances. Je voulais qu'ils puissent voir la famille", ajoute-t-il. Selon lui, il n'y a pas eu de violence, ni de masques. La mère des enfants aurait tout inventé.

Pour l'avocat du père, Frédéric Hainard, ancien conseiller d'Etat neuchâtelois, il s'agit "plutôt d'une question intra-familiale. Qu'est-ce qui a amené ces deux parents à s'aimer, à faire des enfants et à s'écharper dans au moins trois pays, sur au moins 50 ou 60 procédures civiles, pénales et administratives?"

Des enlèvements en augmentation

Lorsqu'un conflit familial dégénère, l'enlèvement d'un enfant est le risque numéro 1, selon Lucie Zimmitti, directrice de Missing Children qui centralise les appels en cas d'enlèvement au niveau suisse.

Les lignes d'urgence en cas d'enlèvement ou de disparition de mineurs ont constaté une nette augmentation des appels de la part de parents terrorisés à l'idée de se faire enlever leur enfant par l'autre conjoint.

"Nos situations de prévention ont doublé. C'est une bonne nouvelle parce que, quand ça n'a pas eu lieu, on peut agir davantage pour orienter les personnes vers du soutien, par exemple des médiations", explique la directrice de Missing Children.

En 2021, 124 nouveaux cas pour enlèvement ont été ouverts auprès du Département fédéral de justice: une augmentation de 20% par rapport à l'année précédente.

Sujet TV: Nathalie Randin

Adaptation web: Andreia Portinha Saraiva

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Une affaire symbolique en Espagne

Depuis quelques années, de nombreuses manifestations ont eu lieu en Espagne suite à des affaires de viol ou de violences à l'égard des femmes. La justice espagnole serait trop complaisante envers les hommes, selon les Nations unies.

"Nos lois sont bonnes et pourraient être suffisantes pour protéger correctement les femmes. Mais quand il s'agit de les appliquer ou de les interpréter, nous avons un sérieux problème. C'est lié au système judiciaire et à la culture", dénonce Gema Fernandez, avocate de l'association féministe Women’s Link.

Selon l'avocate, "il y a encore beaucoup de résistances au sein du système judiciaire quand il s'agit de limiter les droits des pères, même si ce sont des hommes violents. Je crois qu'il faut insister sur l'intérêt de l'enfant qui a aussi le droit de vivre dans un contexte sans violence".

>> Ecouter à ce sujet :

Diana Diaz, responsable de la ligne d’assistance téléphonique à Anar, la Fondation espagnole d’aide aux enfants et adolescents. [RTS - Valéri Demon]RTS - Valéri Demon
Espagne: forte augmentation des violences machistes chez les moins de 18 ans / Tout un monde / 6 min. / le 31 mai 2022

Des stéréotypes dans la presse

"Dans la presse conservatrice, on traite de ce genre d'affaires de façon particulière. Les médias conservateurs discréditent systématiquement les femmes et ont recours à une série de stéréotypes sociaux que le public comprend immédiatement parce que nous avons tous grandi avec ces stéréotypes. La femme machiavélique, la sorcière qui séquestre ses enfants. De nombreuses femmes en Espagne sont décrites de cette façon par la presse", analyse Marisa Kohan, journaliste du quotidien de gauche Publico.

Selon la journaliste, avec l'ascension au pouvoir de l'extrême droite, notamment du parti Vox, les victimes deviennent les hommes dans les cas de violences sexistes. Pour le parti, "il n'y a pas de violence structurelle contre les femmes parce que la violence n'est pas le seul fait des hommes. Il n'y a donc aucune raison de protéger les femmes. Pour l'extrême droite, les victimes sont les hommes qui sont discriminés par les lois", explique-t-elle.