C’est l’histoire d’une ascension spectaculaire et d’une chute qui l’est tout autant. Le laboratoire Etilab à Boudry (NE) affiche désormais "fermé" sur sa porte d’entrée et sur internet. Les raisons de cette fermeture brutale, juste avant les Fêtes de fin d’année, n’ont pas été communiquées publiquement jusqu’ici. Mais selon des informations de la RTS, les autorités sanitaires fédérale et cantonale ont ordonné tour à tour au laboratoire de cesser ses activités.
Rapport accablant
L'organe fédéral de surveillance des laboratoires, Swissmedic, a mené plusieurs inspections à Boudry. Ce qui a débouché sur un rapport accablant que le Pôle enquête de la RTS s’est procuré grâce à la loi sur la transparence. Dans ce document daté du 10 août 2022, 32 points de non-conformité sont reprochés au laboratoire, tant au niveau de la qualité scientifique, de l’hygiène ou encore du système informatique. Pour les inspecteurs fédéraux, une seule conclusion s’impose: le laboratoire doit cesser toute activité dans les maladies transmissibles de l’homme.
Une telle quantité de non-conformités, et surtout une telle quantité qu’on doit classifier comme critiques, c’est vraiment rare dans l’exercice de notre profession d’inspecteurs
Les dérives sont jugées tellement graves que l’effet suspensif est refusé en cas de recours. La décision de retrait de l’autorisation d’exploitation de Swissmedic est donc entrée en force dès le mois de septembre 2022. Dans le rapport, il est noté qu’en cas de poursuite de l’activité du laboratoire, "il y aurait un danger concret pour la santé".
Plainte pénale
Swissmedic confirme qu’un dossier aussi grave et critique est exceptionnel, même si plusieurs correctifs et quelques sanctions dans d’autres laboratoires ont été nécessaires lors de la montée en puissance des tests Covid. Interrogé dans le 19h30, Georges Meseguer, chef de la section certificats et autorisation, précise qu'"une telle quantité de non-conformités, et surtout une telle quantité qu’on doit classifier comme critiques, c’est vraiment rare dans l’exercice de notre profession d’inspecteurs".
Swissmedic a également déposé une plainte pénale contre Etilab, car le laboratoire est soupçonné d’avoir voulu poursuivre des activités de microbiologie malgré l’interdiction prononcée. Voilà qui fait beaucoup pour une seule et même entreprise, mais ce n’est pas tout. Le Service neuchâtelois de la Santé publique a ouvert sa propre procédure administrative sur la conformité des autres activités du laboratoire, comme les prises de sang.
Par mesure de précaution et sans attendre que le dossier ne soit bouclé, le canton de Neuchâtel a fait fermer complètement le site d’Etilab à Boudry, juste avant les Fêtes de fin d’année. La Santé publique neuchâteloise a confirmé cette mesure provisoire, tout en se refusant à d’autre commentaire en raison des procédures encore en cours.
Patron injoignable
Face à ces sanctions en cascade, comment réagit le patron d’Etilab? Sollicité à plusieurs reprises pour une interview par la RTS, il n’a pas répondu. Dans le rapport de Swissmedic, il estime avoir fait son maximum pendant la crise du Covid et être en mesure de se remettre en conformité. Mais les autorités n’y croient plus.
De premières mesures de corrections et une réduction des activités avaient été ordonnées à l’été 2021, alors que le laboratoire semblait dépassé par son succès avec des pics allant jusqu’à 1000 clients par jour pour des tests PCR sans rendez-vous à 100 francs ou des tests rapides à 40 francs.
Etilab n’a visiblement pas réussi à redresser la barre et le patron semble avoir décidé de jeter lui-même l’éponge. La RTS a découvert sur place un avis de "fermeture définitive", où le laboratoire souhaite de joyeuses Fêtes de fin d’année à ses clients, les remerciant de leur fidélité et de leur confiance.
Ancienne employée "choquée"
Malgré la fin de ses activités, l’entreprise devra encore affronter les suites d’une enquête pénale ouverte à l’été 2021, à la suite de dénonciations de plusieurs employés sur de possibles pratiques douteuses, avec notamment l’envoi de certificats négatifs, sans même avoir réalisé les tests en laboratoire. Une ancienne employée a accepté de témoigner en cachant son identité dans le 19h30.
Un incident avec son ancien patron l’a particulièrement marquée: "Il y a des gens qui ont appelé, ils étaient quasiment à l’aéroport, ils n’avaient toujours pas de résultats. Le tube était resté dans la salle de test, donc il n’avait pas été fait. Le temps qu’on décide quoi faire, notre patron avait mis en négatif et l’avait envoyé à ces personnes. Là, on a été tellement choqué qu’on s’est dit qu’il fallait aller dénoncer ça."
L’enquête pénale traîne en longueur. Selon le Ministère public neuchâtelois, cette situation est liée aux difficultés à exploiter le matériel informatique saisi auprès du laboratoire. Le but est de savoir s'il y a eu faux dans les titres, avec donc des certificats Covid sciemment délivrés sans avoir effectué les tests.
Ludovic Rocchi, Pôle enquête RTS
Plusieurs dérives en lien avec le pactole des tests Covid
Sur l’ensemble de la Suisse, Swissmedic surveille 120 laboratoires et indique avoir dû sévir dans deux ou trois cas seulement ces trois dernières années. Il en va autrement des centres de tests rapides qui ont poussé comme des champignons pendant la crise du Covid-19. Toute une série de ces centres ont été jugés non conformes et ils ont dû fermer, surtout en Suisse alémanique.
Il y a aussi l’Office fédéral de la santé publique qui enquête sur un vaste système de fausses factures de tests Covid pour des dizaines de millions de francs, comme l’a révélé une enquête d’A Bon Entendeur. Au total, la Confédération a déboursé près de 4,5 milliards de francs pour les tests Covid.
LR