Les jumeaux au cœur d'une histoire d'enlèvement pourront rester en Suisse avec leur mère, tranche le TF
L'histoire est invraisemblable. Un mandat d'arrêt international est lancé contre la mère de jumeaux, après qu'elle a quitté l'Espagne avec ses fils, sans donner de nouvelles au père. En début 2022, les trois s'installent dans le canton Neuchâtel.
L'automne dernier, alors que la justice neuchâteloise n'a pas encore rendu sa décision, le père, accompagné de deux complices, enlève ses fils à La Chaux-de-Fonds. La police annonce immédiatement la mise en place d'un dispositif pour retrouver les enfants, dont elle précise que leur état de santé est fragile. Les jumeaux sont finalement retrouvés en France.
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Après un long silence radio, la Cour des mesures de protection de l'enfant et de l'adulte du Tribunal cantonal neuchâtelois a rendu sa décision le 24 février: elle décide de ne pas renvoyer la maman et les enfants en Espagne. La décision est validée par le Tribunal fédéral le 25 avril dernier, ce qui est tout a fait inédit.
Capacités parentales mises en doute
Les autorités justifient leur décision en mettant en avant l'intérêt supérieur des enfants. Celui-ci ne serait pas respecté en cas de renvoi selon elles. Elles invoquent plusieurs raisons qui mettent en doute les capacités parentales du père. Par exemple, il nie le fait que ses enfants soient atteints d'un handicap, alors qu'ils ont été diagnostiqués plusieurs fois en Espagne. Sans compter le fait qu'il soit sympathisant de l'idéologie nazie.
En outre, les autorités estiment qu'une séparation avec la maman serait fortement dommageable pour les enfants au vu de leur état de santé. Olivier Peter, avocat de la maman salue une décision "juste et bien fondée". Le Tribunal fédéral a eu "le courage de s'écarter des décisions des tribunaux espagnols au vu du caractère particulier du dossier et de l'avis unanime des intervenants suisses". Il appelle maintenant à respecter la vie privée des enfants afin qu'ils puissent se reconstruire dans les meilleures conditions.
Recours possible
Frédéric Hainard, l'avocat du père, estime que cet arrêt est "juste" en termes de droit de l'enfant. Séparer les jumeaux de leur mère, avec qui ils sont exclusivement depuis plus de deux ans, serait pour l'instant inapproprié pour eux. "Mais ça ne veut pas dire qu'on peut bafouer les droits du père", nuance-t-il.
Un recours auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme n'est pas exclu. Finalement, l'avocat chaux-de-fonnier estime que cet arrêt va créer un appel d'air et que la Suisse pourrait devenir une terre d'accueil pour les enlèvements internationaux.
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Justifier les enlèvements?
Anaïs Brodard, avocate et spécialiste du droit de la famille, comprend la décision sur le principe, mais redoute elle aussi que cela n'ouvre "une boîte de pandore pour justifier l'enlèvement international". Sous couvert de besoins spéciaux, il ne faudrait pas qu'un parent puisse justifier un enlèvement, explique-t-elle. "Dans le cas présent, le Tribunal fédéral applique le régime d'exception. C'est extrêmement rare."
Dans de telles situations, l'avocate explique que l'idéal serait d'abord de contraindre les parents à la médiation. "L'escalade du conflit vient du fait que les parents n'arrivent plus à communiquer. L'enlèvement d'un enfant a pour but de faire mal à l'autre", explique Anaïs Brodard.
Sujet radio: Deborah Sohlbank
Adaptation web: Raphaël Dubois
Rappel des faits
Les parents des jumeaux se séparent en février 2020 et la garde exclusive est accordée à la maman avec droit de visite et autorité parentale conjointe. Néanmoins, la relation entre les parents est très conflictuelle. Durant l'été 2021, les enfants et leur maman partent en vacances en France et ne remettront plus les pieds en Espagne.
Un mandat d'arrêt international est lancé contre la maman. Début 2022, les trois arrivent dans le canton de Neuchâtel. L'affaire est très médiatisée en Espagne et les deux parents n'hésitent pas à s'épancher auprès des médias. La mère justifie son départ en dénonçant un problème structurel en Espagne. Elle estime que les femmes et les enfants ne sont pas assez protégés des violences conjuguales.
De son côté, le père dépose une requête auprès de la justice neuchâteloise pour le retour immédiat de ses fils. Cette requête est fondée sur la Convention de la Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d’enfants. Cette convention est ratifiée par la Suisse et l'Espagne et qui vise au retour immédiat des enfants enlevés, ou "déplacés illicitement", selon les termes d'usage.
L'objectif de cette convention est normalement de permettre un retour immédiat des enfants dans leur pays, sauf quelques exceptions plutôt restrictives. Des exceptions validées par le Tribunal fédéral dans ce cas.