Au Locle, 9 mois après les faits, tout le monde se souvient encore du départ abrupt du Dr. A. C'était fin août 2022. Par un simple SMS à son assistante, le généraliste annonçait qu'il mettait la clé sous la porte. "Pas la peine de venir au cabinet. La faillite est en cours. Bonne journée!" Du jour au lendemain, quelque 300 patients et patientes se sont retrouvés sans médecin, disparu dans la nature.
A l'époque, le Service de la santé publique du canton de Neuchâtel ouvre une enquête administrative. On découvre que le praticien n'en n'est pas à sa première disparition. Il avait déjà fait le même coup en France, en 2014, abandonnant son cabinet de Roanne (F) et sa patientèle.
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Médecin grillé en Suisse
En septembre 2022, les autorités sanitaires cantonales finissent par lui retirer son autorisation de pratique, mesure ultime après l'avertissement, le blâme et l'amende. "Il n'a pas donné d'explication acceptable justifiant l'arrêt brusque de son activité", nous répond aujourd'hui le service du médecin cantonal neuchâtelois. "L'Autorité de surveillance a estimé qu'il avait violé plusieurs devoirs professionnels, comme celui d'informer ses patients, et qu'il avait fait preuve de négligence".
D'après nos informations, la Société neuchâteloise de médecine (SNM) avait par ailleurs ouvert une procédure au préalable contre le médecin, pour de fausses facturations à l'assurance maladie. Il aurait facturé en son nom des prestations faites par quelqu'un qui n'était pas médecin. A l'issue de cette procédure, il a été exclu de la SNM et de la FMH (la Fédération des médecins suisses). A Neuchâtel et en Suisse, le médecin est discrédité.
Une sacrée aubaine
Pourtant, les recherches de la RTS révèlent que le Dr. A pratique aujourd'hui toujours la médecine. De l'autre côté de la frontière, en France, à Saint-Christol, bourgade de 2000 habitants dans le Vaucluse. On l'apprend dans un article publié en février dernier dans le journal local, pour annoncer son arrivée. Dans cette commune en plein désert médical, son installation est visiblement perçue comme une sacrée aubaine: "Ayant une grande expérience en médecine générale, maîtrise de connaissances en pédiatrie, gynécologie, chirurgie, avec une activité de médecin spécialiste en médecine générale en libéral en Suisse, le Dr A. s'est décidé de revenir en France", se réjouit le journal. Il n'est fait aucune mention de ses frasques précédentes.
La RTS est allé à la rencontre du Dr. A, dans son nouveau cabinet du Pôle médical du village. Il n'a pas souhaité répondre à nos questions. Il affirme seulement avoir été "dénigré par les autorités sanitaires neuchâteloises" et nie avoir déserté son cabinet précédent.
En France, une ardoise propre
A Saint-Christol, personne n'est au courant des casseroles du praticien. Ni ses nouveaux patients et patientes, ni la mairie, ni le Conseil départemental de Vaucluse de l'Ordre des médecins, que nous avons sollicité: "Tout ce que nous pouvons vous dire est que le Dr. A a été enregistré auprès de notre conseil, suite à la procédure habituelle (…) Aucune mesure particulière n'est prévue à son encontre sauf plainte formelle d'un patient, ce qui n'est pas le cas à ce jour." Les sanctions prises en Suisse à l'encontre du généraliste ne sont pas arrivées jusque-là.
Nous avons sollicité la Société neuchâteloise de médecine. Elle ignorait que le médecin avait repris du service et confirme n'avoir pas transmis à ses homologues français les sanctions prononcées à son encontre. À la suite des révélations de la RTS, elle pourrait bien le faire.
Flore Amos, Pôle Enquête/juma
Plusieurs médecins interdits de pratique ont trouvé le moyen de continuer à exercer
Le cas du médecin déserteur du Locle ne serait de loin pas un cas isolé, comme l'a révélé mercredi le 19h30. Un nombre non négligeable de médecins interdits de pratique, comme lui, exerceraient en effet toujours. Que ce soit à l'étranger, dans un autre canton, ou même parfois dans le même canton.
Ainsi, selon le Registre suisse des professions médicales, 36 médecins ont été interdits en Suisse ces cinq dernières années. Et selon nos recherches, au moins un tiers d’entre eux auraient trouvé un moyen de continuer leur métier. A noter que dans le cas d'une interdiction, c'est le canton qui la prononce. Et c'est très grave puisqu'il s'agit de l’ultime sanction après l’avertissement, le blâme et l’amende.
Sept départs à l'étranger
Quatre d'entre eux - deux psychiatres, un gastro-entérologue et un généraliste - sont simplement restés dans le même canton et bravent l’interdiction. Ce qui est complètement illégal et pourrait déboucher sur des plaintes pénales.
Deux autres se sont installés ailleurs dans le pays, ce qui est surprenant là aussi. La loi sur les professions médicales prévoit en effet qu’un canton qui interdit un praticien en informe les autres.
Et enfin, sept sont partis à l’étranger. La RTS a retrouvé leurs traces en Allemagne, en Italie et en France. C’est le cas notamment de ce médecin du Locle qui a très facilement trouvé un nouveau cabinet un fin fond du Vaucluse, une zone en situation de désert médical.
Dès lors, lorsqu'un patient souhaite prendre rendez-vous chez eux, ils ne disent pas qu'ils n'ont plus d'autorisation, mais précisent parfois que la consultation ne serait pas remboursée. Ce qui est normal, puisque les caisses-maladie ne prennent en charge que les médecins autorisés.
Ces cas sont marginaux mais ne demeurent pas moins très graves. Ces médecins profitent en effet des failles du système, jouent avec les frontières cantonales et internationales et échappent aux contrôles des autorités sanitaires. Il faut dire que ces contrôles ne sont pas automatiques. Des dénonciations ou des plaintes de patients sonten effet souvent nécessaires pour que les médecins frauduleux soient identifiés.