Si certaines universités à l'étranger ont interdit ChatGPT, ce générateur de texte est toléré en Suisse. L'Université de Neuchâtel (Unine) a même publié des conseils pour bien l'utiliser, ainsi que quelques mises en garde.
Car, comme support de cours, pour poser des questions de révision, créer des exercices ou générer des idées, ChatGPT semble assez utile. Mais lorsqu'il s'agit de pousser la recherche, cette intelligence artificielle (IA) montre rapidement ses limites.
"Je le déconseille pour la recherche universitaire, surtout parce que les sources qu'il cite, si on le demande, ne sont pas fiables. Tous les liens qu'il m'a fournis n'étaient pas fonctionnels. Il peut même inventer des sources", explique Flavio Rossi, étudiant en master d'histoire, psychologie et éducation à l'Unine.
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Plutôt encadrer qu'interdire
Conseillère pédagogique, Marika Fenley a mis en ligne quatre articles sur la page principale de l'université. L'objectif est de cadrer l'utilisation de ChatGPT plutôt que de l'interdire. "Ça fait partie de notre responsabilité d'aider les étudiants à bien comprendre ChatGPT et à être vigilant avec", argumente la conseillère.
Responsable du centre de langues et enseignante d'anglais, Sara Cotelli incite ses élèves à s'en servir. "Ça n'a rien de nouveau. Les étudiants utilisaient déjà Deepl ou Google Traduction. Ils écrivaient dans leur langue maternelle et ils faisaient un copier-coller pour présenter soi-disant un texte qu'ils avaient écrit dans la seconde langue", raconte-t-elle.
Professeure en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Lorraine (France), Anne Cordier abonde: "C'est le très bon chemin à suivre, car ça ne sert à rien de mettre la poussière sous le tapis, créer l'interdit n'a jamais fait oeuvre d'éducation", estime-t-elle.
"L'aide de l'IA pour soutenir une révision ou un apprentissage, c'est une façon d'exploiter un environnement à notre disposition pour apprendre, et donc rester maître de son apprentissage", poursuit la chercheuse qui observe depuis plus de dix ans la vie numérique d'une cohorte de jeunes (voir encadré).
Faire mention de ces outils
Interdit pendant les examens, ChatGPT peut être utilisé pour rendre un texte écrit à la maison. Dans ce cas, la règle interne veut qu'on mentionne son utilisation. Plusieurs universités suisses, dont celle de Lausanne, envisagent à leur tour de publier des recommandations pour utiliser l'outil sans tricher.
"On encourage vivement les enseignants à parler de l'utilisation de ChatGPT dans leur cours, afin de clarifier qui peut l'utiliser, comment on l'utilise et comment on le cite. C'est clair qu'on ne peut pas s'assurer de l'absence de triche, mais ce type de triche existait déjà avant", précise Marika Fenley.
Par ailleurs, avec ces nouvelles possibilités, il reste aujourd'hui très compliqué, sur un plan juridique, de déterminer ce qui relèverait ou non d'un plagiat, relève Anne Cordier.
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De son côté, Sara Cotelli a changé sa façon d'évaluer afin de s'adapter à ces nouvelles IA. "En plus de mentionner l'outil utilisé, les étudiants doivent faire un petit travail de réflexion sur leur utilisation dans le processus d'écriture", détaille-t-elle.
"Quand les étudiants quitteront l'université et qu'ils devront écrire par eux-mêmes, tous ces outils seront à leur disposition. Cela les oblige à réfléchir à ce qu'ils en font et à la façon de les utiliser", conclut Sara Cotelli.
Sujet radio: Virginie Langerock
Adaptation web: Raphaël Dubois
"C'est tout faux de parler de crétins digitaux!"
Depuis 2012, Anne Cordier suit et analyse la vie connectée de jeunes de 6 à 20 ans pour comprendre leur rapport aux médias, à l'information et au numérique. Elle vient d'en tirer un livre, "Grandir Informés", publié aux éditions C&F. Interrogée lundi dans La Matinale, la chercheuse énumère trois points qui résument ses observations, brisant au passage quelques mythes tenaces autour de la consommation numérique de ses sujets d'étude.
Quand on leur demande comment ils s'informent, les jeunes ont tendance à penser à la définition "adulte" de l'information, souvent restreinte à l'actualité politique nationale ou internationale. "Évidemment, à six ou dix ans, on ne s'y intéresse pas", sourit-elle. "Mais en réalité, quand on s'intéresse à ce qu'ils font, on constate une grande diversité d'activités informationnelles, pour le loisir, le sport, la culture, l'école ou les sujets de société."
Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, elle a pu observer "des enfants, des ados ou jeunes adultes très soucieux d'essayer de baliser leur pratique informationnelle". "On a tout faux, ce ne sont pas des crétins digitaux. Ils essaient de garder une forme de pouvoir dans un monde complexe."
Enfin, elle souligne que si l'essor du smartphone individualise bel et bien les pratiques, celles-ci ne sont pas vécues individuellement: "Le rôle des pairs, et notamment des parents, apparaît vraiment crucial. Les enfants et les ados parlent sans cesse de comment l'information joue un rôle structurant en famille!"