Des agents de sécurité condamnés pour avoir mis en danger la vie d’un requérant d’asile
Un grave dérapage survenu au Centre fédéral d’asile de Boudry (NE) est sanctionné par la justice. C’est une première judiciaire en Suisse, alors que plusieurs autres procédures pénales sont en cours à la suite de plaintes de requérants contre des agents privés mandatés pour sécuriser les centres fédéraux.
Dans les ordonnances pénales prononcées le 11 mai dernier par le Ministère public neuchâtelois, quatre employés de Protectas, une des entreprises mandatées par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), sont reconnus coupables de "lésions corporelles simples et mise en danger de la vie et de la santé d'autrui". Un des agents se voit aussi reprocher un abus d’autorité en raison d’un geste violent. Il écope de 40 jours-amende avec sursis, les trois autres de 25 jours avec sursis.
Sur le sol glacé
Les faits remontent au 13 février 2021 en début de soirée, dans une température en dessous de 4 degrés et par une bise glaciale. Le retour d’un jeune requérant se passe mal à Boudry. Alcoolisé et souffrant d’instabilité psychique, il se prend la tête avec d’autres requérants, se retrouve à torse nu dehors et il est emmené dans un des conteneurs de chantier qui faisaient encore office de cellule de rétention à ce moment. En chemin, un des agents Protectas l’empoigne violemment, et se retrouve donc sanctionné pour ce geste.
Mais c’est une fois arrivé dans le conteneur que tout va dégénérer. Le chauffage vient à peine d’être enclenché, le requérant repose à même le sol glacé, toujours à torse nu et il se met à faire des gestes incohérents, comme le démontrent des images de vidéosurveillance. A 18h33, il fait un malaise, s’écroule et convulse. Les agents Protectas de garde ce samedi soir ne prennent aucune mesure urgente et c’est ce qui leur vaut d’être condamnés.
On regrette qu'il n'y ait pas eu de condamnations envers les responsables hiérarchiques qui ont organisé cette tétanie des agents de Protectas, les empêchant de faire ce qu'ils devraient face à un danger imminent
Le jeune reste au sol, il n’est pas transporté au chaud et il faudra plus de 10 minutes pour qu’un duvet lui soit apporté, alors qu’il souffre en fait d’une grave hypoglycémie et d’hypothermie. Sa température corporelle va descendre en dessous de 34 degrés. Les secours n’ont toujours pas été appelés.
Un attentisme dénoncé
Lors de leurs interrogatoires par le Ministère public neuchâtelois, les agents disent avoir respecté le règlement, qui ne les autorise pas à appeler eux-mêmes une ambulance. Ils finiront par demander à un employé de l’encadrement d’appeler une hotline médicale, qui après un long échange, autorisera à faire intervenir le 144.
Arrivant sur place 41 minutes après le malaise, les urgentistes se diront choqués de cet attentisme et de trouver le requérant toujours couché à même le sol glacé du conteneur. "Vous êtes dangereux", ont-ils dit aux agents Protectas.
Les consignes ont été respectées d'une manière tellement aveugle et contre tout bon sens et tout humanité que le Ministère public a estimé que cet élément-là n'était pas prévisible
Une responsable des urgences de l’Hôpital neuchâtelois a d’ailleurs dénoncé les faits à la police, puis le requérant s’est porté partie plaignante, soutenu par le collectif Droit de rester Neuchâtel. Son avocat Dimitri Paratte se montre satisfait des condamnations devenues définitives, car les agents n’ont pas recouru. Mais il estime qu’il aurait fallu aller plus loin: "On regrette qu'il n'y ait pas eu de condamnations envers les responsables hiérarchiques qui ont organisé cette tétanie des agents de Protectas, les empêchant de faire ce qu'ils devraient face à un danger imminent."
"Les consignes ont été respectées d'une manière tellement aveugle et contre tout bon sens et tout humanité que le Ministère public a estimé que cet élément-là n'était pas prévisible par ceux qui ont mis en place la structure. Ils auraient pu imaginer que les employés soient à même de gérer de manière plus délicate la situation", justifie le procureur général neuchâtelois Pierre Aubert.
Circonstances atténuantes
Les agents se voient tout de même attribuer des circonstances atténuantes et leurs peines ont été réduites en conséquence: "Les infrastructures à disposition et la formation étaient sans doute insuffisantes", concède Pierre Aubert.
L’entreprise Protectas a refusé la demande d’interview de la RTS et renvoie vers son mandataire, le SEM. On y affirme avoir tiré les leçons de l’incident: "Nous sommes en train d'engager des responsables de sécurité qui sont des collaborateurs du SEM. Ils seront chargés d'encadrer la formation sur le terrain des agents de sécurité", précise Anne Césard, porte-parole du SEM.
Autre conséquence du cas d’hypothermie qui a failli tourner au drame: les agents impliqués ne travaillent plus pour la Confédération.
Ludovic Rocchi, Pôle enquête RTS
D'autres dérapages dénoncés
D’autres dérapages dans des centres fédéraux d’asile sont en attente de décisions judiciaires. Leur multiplication et les révélations des médias, dont la RTS, ont poussé le SEM à commander une enquête administrative et à engager des réformes.
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Les militants de l’asile estiment qu’il faut en faire davantage et abandonner la privatisation de la sécurité et de l’encadrement. Pour l’heure, la tendance est inverse. Avec la crise migratoire et la guerre en Ukraine, les contrats passés avec les privés ne cessent d’augmenter, avec un record de 84 millions de francs rien que pour la sécurité en 2022.