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L’Université de Neuchâtel collabore avec des chercheurs payés par Philip Morris 

L'Université de Neuchâtel entretient des liens avec des chercheurs du cigarettier Philip Morris
L'Université de Neuchâtel entretient des liens avec des chercheurs du cigarettier Philip Morris / Forum / 3 min. / le 1 mars 2024
L'Université de Neuchâtel entretient des liens avec des chercheurs de Philip Morris. Comme l’a appris le pôle enquête de la RTS, l'un d'entre eux donne un cours au sein de l'alma mater neuchâteloise. Deux autres employés du cigarettier ont pu y réaliser leur thèse. Ces collaborations scientifiques heurtent les milieux de la prévention. Philip Morris et l'université estiment de leur côté être dans leur bon droit.

L'Université de Neuchâtel accueille au sein de son corps professoral un privat-docent actuellement employé par Philip Morris. Celui-ci donne un cours de bio-informatique à des étudiants de master de la faculté des sciences.

Selon sa page LinkedIn, cet homme fait partie des cadres du département de recherche et développement du cigarettier, département dont le siège se trouve à Neuchâtel. Interrogé sur ce cas, le bureau de presse de l'université explique à la RTS avoir recruté ce spécialiste en toxicologie pour son excellence scientifique et ses compétences pédagogiques. L'université ne le rémunère pas.

Thèses en botanique co-signées par Philip Morris

La proximité entre Philip Morris et l'alma mater neuchâteloise ne s'arrête pas là. Deux chercheurs employés par la multinationale ont pu réaliser une thèse de doctorat avec des professeurs de la faculté des sciences de l'université. Il s'agit de travaux en botanique.

L'une de ces thèses a été soutenue en fin d'année dernière. Ce projet a permis d'identifier "le mécanisme qui donne l'odeur caractéristique au clou de girofle", précise Fabian Greub, secrétaire général de l'Université de Neuchâtel.

La deuxième, qui vient de commencer, "s'intéresse à une famille de plantes qui produisent un principe actif qui permettrait peut-être de lutter contre certaines maladies neurologiques", détaille Fabian Greub. Les deux projets ont été validés par le Conseil des professeurs de la faculté dans le but de "faire progresser la recherche fondamentale" en botanique, relève encore le secrétaire général.

Ces projets n'impliquent pas forcément de flux financier. C'est le cas pour une des deux thèses. Pour l'autre, Philip Morris a payé 60'000 francs à l'université "pour des frais de laboratoire".

Conflits d'intérêt et instrumentalisation

Ces différents liens entre Philip Morris et l'Université de Neuchâtel rappellent la collaboration entre l’EPFZ et le cigarettier. 

>> Lire aussi : Deux études de l’EPFZ financées et réalisées avec Philip Morris

Une telle proximité interpelle les milieux de la prévention, pour des questions de principes avant tout. En effet, la thèse autour du clou de girofle a été supervisée par un chercheur de Philip Morris. Un autre chercheur du cigarettier l'a co-dirigée avec un professeur de l'université.

Pour Luciano Ruggia, le directeur de l'Association suisse pour la prévention du tabagisme, "ceci soulève de graves questions de conflit d'intérêts. Il est difficile d'ignorer l'influence que l'industrie du tabac, par le biais de ses employés, exerce sur les orientations de la recherche".

Pascal Diethelm, président d'Oxysuisse, analyse depuis des années les études financées par ou réalisées avec l'industrie du tabac. A ses yeux, "la multinationale a besoin d'études académiques respectables pour créer un écrin qui crédibilise ses propres études. Tout cela n'est pas fait par hasard, mais s'inscrit dans une stratégie de Philip Morris dont le but est la normalisation de la compagnie, de ses activités commerciales et de ses produits."

Dans l'intérêt de la science

Tant le cigarettier que l'Université de Neuchâtel rejettent ces accusations. Selon les deux partenaires, leur collaboration, totalement transparente, respecte strictement la liberté et l'indépendance de la recherche.

Le porte-parole de Philip Morris nous écrit aussi que "ces travaux participent à un vaste programme pour développer et évaluer scientifiquement une gamme de produits sans fumée destinés aux fumeurs adultes et qui ont le potentiel d'être moins nocifs".

"Chacun des partenaires a ses propres intérêts", reconnaît Fabian Greub, le secrétaire général de l'université. "L'intérêt de notre institution est de faire progresser la science et de mettre cela à disposition de tout un chacun sans exclusivité aucune pour l'entreprise partenaire."

Pour le secrétaire général de l'université, c'est une question "éminemment politique de savoir si les universités doivent travailler avec le secteur privé. Et, aujourd'hui, la politique valorise la collaboration avec les entreprises", constate Fabian Greub. Cela étant, les autres universités romandes (Genève, Lausanne et Fribourg) refusent toute forme de collaboration avec l'industrie du tabac.

>> Revoir aussi le sujet de Temps présent sur les liens entre milieux académiques suisses et cigarettiers: :

Temps présent
Les nouveaux pièges de l'industrie de la nicotine / Temps présent / 48 min. / le 8 février 2024

Marc Menichini

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