La RTS et cinq autres médias cherchaient depuis octobre dernier à se procurer ces rapports évoquant des soupçons d’infractions pénales en lien avec la recapitalisation des remontées mécaniques de Crans-Montana-Aminona (CMA).
Sollicité par les médias, le préposé cantonal valaisan à la protection des données et à la transparence Sébastien Fanti avait rendu début décembre une recommandation. Il y invitait les communes valaisannes de Crans-Montana, Lens et Icogne à remettre sans délai ces documents à la presse. C'est désormais chose faite.
>> Lire : Les communes du Haut-Plateau en Valais accusées "d'obstruction" à l'information
Commandés par les communes du Haut-Plateau à trois cabinets d’avocats et fiduciaires, lesdits rapports datent de juin et octobre derniers.
La question au coeur de ces 130 pages d'analyses juridiques: savoir si les communes ont été lésées -et, si oui, sciemment- lors de la transaction de décembre 2016 (voir encadré) qui a permis à l’investisseur tchèque Radovan Vitek d'augmenter sa mainmise sur la station de Crans-Montana.
Plus de 2,6 millions de pertes
Sur ce point, l'un des rapports, rédigé par une fiduciaire genevoise, estime à plus de 2,6 millions de francs la perte subie par les communes. Radovan Vitek pourrait avoir vendu à CMA la société CMA Immobilier -qui détient les parkings et restaurants de la station- à un prix excédant de 25 millions de francs sa valeur réelle, d'après le document.
>> Consulter le rapport de la fiduciaire G&P
Un autre document souligne que "les communes ont drastiquement perdu de leur influence et de leur pouvoir décisionnel au sein de l'Assemblée générale de CMA" dans cette opération.
"Le hold-up était presque parfait"
Pour l'un des cabinets d'avocats sollicités, la transaction viole l'article 628 al. 2 du Code des obligations. Etait-ce intentionnel? Au conditionnel, les auteurs n'excluent pas que le conseil d'administration de CMA ait "violé de nombreux devoirs de diligence et de fidélité qui lui incombaient". Il serait même "envisageable" que le but ait été de favoriser CPI, le groupe de Radovan Vitek basé au Luxembourg, au détriment de CMA.
Certains observateurs du Haut-Plateau extérieurs aux rapports, eux, sont convaincus que tout s’est passé dans le seul intérêt de CPI. "Le hold-up était presque parfait", a commenté l'un d'eux.
>> Consulter le rapport du cabinet Altenburger
Le rapport note que les conséquences possibles de cette violation "sont tant civiles que pénales" et précise qu'il serait envisageable de déposer une plainte pénale contre les administrateurs de CMA pour "faux dans les titres, obtention frauduleuse d'une constatation fausse, escroquerie et gestion déloyale".
>> Consulter le rapport Kinzer du 28.10.18
"Poumon économique du Haut-Plateau"
Les communes auraient donc pu agir en justice mais elles ne l’ont pas fait. Notamment parce que, comme le rappelle l'un des avis de droit, une telle plainte conduirait les communes "à perdre tout soutien de Radovan Vitek et de CPI, au demeurant poumon économique du Haut-Plateau".
Les communes voulaient s’éviter dix ans de procédure sans garantie d’un résultat concret, a pour sa part indiqué à la RTS Laurent Bagnoud, représentant des communes du Haut-Plateau au conseil d’administration de CMA.
Il faut dire aussi qu'entre-temps, Radovan Vitek a tenté de réparer le préjudice en rachetant CMA Immobilier, l'entreprise qu'il avait vendue à un prix surévalué.
Et que CMA dispose de moyens de pression. La station est encore marquée par la fermeture unilatérale par CMA du domaine skiable l’année dernière en raison d'un litige financier.
>> Lire : Un an après, Crans-Montana reste marqué par l'arrêt des remontées
"Aucune valeur probante"
Interrogé mercredi en fin d'après-midi par la RTS, le président de CMA Philippe Magistretti a fait part de sa "déception" face à des analyses qu'il juge "de très mauvaise qualité" sur les plans économique et financier. "Je n'ai jamais vu des inexactitudes, des mauvaises analyses et un manque de diligence aussi énormes dans une étude économique", a-t-il lâché.
Selon Philippe Magistretti, l'analyse de l'augmentation de capital faite dans ces documents est "fausse" et il est donc "faux de dire que les communes aient perdu de l'argent".
Il a également rejeté en bloc les accusations d'avoir favorisé les intérêts de CPI. "Ce sont plutôt les communes minoritaires qui ont été avantagées dans l'augmentation de capital", a-t-il argué.
Le président de la société de remontées mécaniques s'est dit "très serein", ces études n'ayant selon lui "aucune valeur probante".
La justice s'est auto-saisie
Reste que la justice devra quand même trancher. "Une enquête pénale est au stade de la procédure préliminaire et la police cantonale est chargée des investigations", a expliqué à la RTS le procureur général du canton du Valais, Nicolas Dubuis.
Ce dernier a entre les mains les fameux rapports, et devra déterminer qui des auteurs de ces travaux ou des administrateurs de CMA est le plus proche de la vérité.
Tensions à Crans-Montana
Article web: Pauline Turuban
Sujet radio: Yves Terrani
La transaction litigieuse au coeur des rapports
En décembre 2016, Radovan Vitek a vendu à CMA (la société de remontées mécaniques) les parkings et restaurants de la station valaisanne (détenus par une autre de ses sociétés, CMA Immobilier) pour près de 30 millions de francs. CMA s'est ensuite retrouvée en difficulté financière et a décidé d'augmenter son capital. Le milliardaire tchèque en a alors profité pour racheter des parts, totalisant ainsi 85% des actions de CMA. Les réviseurs de comptes ont relevé une potentielle surévaluation des actions de CMA Immobilier lors de cette transaction.
Le 13 juin 2018, CMA a présenté ses comptes 2017. On y a appris qu’ils présentaient des pertes de plus de 36 millions de francs et que ces mauvais résultats financiers étaient liés à l'augmentation de capital qui a permis à Radovan Vitek de prendre le contrôle total des remontées mécaniques.