"Quand j’ai commencé mon travail au sein du service de la chasse, la politique interne était: un bon lynx est un lynx mort. Maintenant, le service se méfie et le message a un peu changé. Si vous tirez un lynx, il faut vous assurer d’être seul. Si vous êtes attrapé par un bio et un écolo, le service ne va pas vous défendre."
Ces propos sont ceux d’un collaborateur du Service de la chasse, de la pêche et de la faune valaisans. L’homme souhaite rester anonyme pour ne pas perdre son poste. Il explique avoir déjà tiré un lynx, alors qu’aucune autorisation officielle n’a été demandée par le canton ces 10 dernières années. "J'ai déjà tiré un lynx, j’étais formaté, je le regrette. Il faut que cela change. Pour l’image de mon service, de mon canton. Il faut pouvoir continuer à tirer les lynx, mais pas comme cela. Il faut que cela soit géré proprement", fait-il valoir.
Ces propos sont d'autant plus problématiques que le lynx est une espèce protégée. Selon les chiffres du KORA, le centre suisse pour l’écologie des carnivores et la gestion de la faune sauvage, le nombre de lynx serait de 250 individus adultes en Suisse. Un chiffre en légère progression dans le Jura, mais qui reste faible en Valais, selon une récente étude de l’Université de Berne.
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"Politique de l'autruche"
Des collaborateurs toujours en fonction ou en poste ces dernières années au sein du Service de la chasse parlent de "laisser faire" et de "politique de l’autruche" face au braconnage. Tous ont souhaité garder l’anonymat, la question étant très émotionnelle dans certaines régions.
De son côté, le Service de la chasse conteste tout manquement à son devoir de protection des espèces protégées: "Le Service de la chasse rejette fermement ces affirmations. Nous travaillons au quotidien dans le respect de la législation en vigueur et traitons toutes les situations de braconnage avec sérieux et professionnalisme. Le braconnage est un délit de chasse poursuivi d’office. Chaque soupçon de braconnage (…) est traité et s’il s’avère fondé, est transmis aux autorités compétentes. Enfin, le canton du Valais condamne fermement les actes de braconnage commis sur son territoire."
En dix ans, deux cas de braconnage de lynx ont été dénoncé à la justice valaisanne. Les peines sont généralement pécuniaires, assorti d’un retrait de quelques années du permis de chasse.
François Ruchti/kkub
Réintroduction depuis les années 1970
Le lynx a disparu de Suisse entre le XIXe et le XXe siècle, avant d’être réintroduit en 1970. La population de lynx a repris peu à peu sa place dans la région du Jura et les Alpes. Elle est actuellement de 250 lynx adultes. Plusieurs lynx ont également réussi à s’échapper de zoos: deux félins se sont enfuis du Juraparc à Vallorbe (VD), le lynx Aicha en 2009 et Felix en 2014. Dans le Jura français, le centre de sauvetage Athenas a relâché 21 lynx en 30 ans, des animaux qui ont été victimes d’accidents de circulation ou des jeunes orphelins incapables de survivre sans aide.
Le retour des lynx est critiqué par une partie des chasseurs et des éleveurs. Pour les présidents de la Diana neuchâtelois, il y a actuellement trop de lynx dans le Jura. "Nous ne sommes pas contre le lynx, mais il est nécessaire de mieux le réguler dans notre région, notamment par des translocations dans d’autres régions. Il fait de gros dégâts sur la faune sauvage du Jura. La population de chevreuils et de chamois diminue trop."
L’institut suisse KORA, qui fait un suivi scientifique des lynx au niveau fédéral, confirme que le lynx a dans certaines zones un impact fort sur les autres espèces sauvages. Un individu mange en moyenne entre 50 et 60 ongulés par année. Le KORA précise toutefois que la population de lynx occasionne peu de dégâts sur les animaux d’élevage. L’impact du lynx sur les animaux de rentes est inférieur au loup. En 2019, les loups ont tué près de 400 animaux d’élevage, alors que les lynx ont en tué 43.