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Viticulture en crise, les vignerons sont à bout

Viticulture en crise, les vignerons sont à bout
Viticulture en crise, les vignerons sont à bout / 19h30 / 4 min. / le 1 septembre 2020
La crise sanitaire liée au Covid-19 a aggravé la situation des vignerons, dont la branche était déjà confrontée à des difficultés. Poussés à bout, plusieurs d'entre eux songeraient à abandonner certaines parcelles, révèle une enquête du 19h30.

Anne-Laure Décaillet, vice-présidente de la Fédération valaisanne des vignerons, tire la sonnette d'alarme sur la crise que traverse son secteur. "Il y a eu une restructuration dans les caves. Ces caves ont les cuves pleines et j'ai dû négocier les quantités, les cépages. Sans compter que nous n'avons aucune garantie sur le paiement de la vendange. On n'a jamais de garantie, mais cette année, au vu de la situation on aurait aimé en avoir", explique-t-elle dans le 19h30.

Au final, la vigneronne valaisanne est parvenue, non sans mal, à trouver preneur pour une partie de sa récolte, soit 38 tonnes de raisin. Mais nombreux sont ses homologues en Suisse à avoir vu leurs vendanges refusées par les grandes caves, confrontées à la difficulté d'écouler leurs stocks de vin. Pire, certaines d'entre elles ne pourront tout bonnement pas leur payer le solde de la vendange de l'an dernier.

Conséquences: plusieurs vignerons, poussés à bout, pourraient abandonner certaines parcelles. Selon une étude de l'interprofession de la vigne et du vin, c'est un cinquième du vignoble valaisan, soit l'équivalent de 1000 hectares ou 1000 terrains de foot, qui pourrait ainsi disparaître à moyen terme.

Omerta chez les vignerons

Anne-Laure Décaillet est la seule à oser témoigner à visage découvert sur les problèmes que connaît actuellement son secteur. Les vignerons ont peur que les grandes caves les sanctionnent s'ils parlent.

Manque de liquidité, frais de production qu'ils n'arrivent plus à couvrir, angoisses: au téléphone, ils racontent toutefois tous la même histoire. "J'ai été payé 2 francs le kilo pour la vendange 2019 et j'attends toujours le dernier versement. Je ne sais même pas s'il va m'être versé", déplore l'un d'entre eux. Avant d'ajouter: "En attendant, j'ai les factures à payer, les frais de production. Je ne sais plus comment faire pour m'en sortir."

Encaveurs au bord de la faillite

"Nous vous annonçons que nous n'encaverons plus aucune vendange de mes fournisseurs." Des courriers comme celui-ci, envoyés par plusieurs caves à leurs vignerons, en disent long sur l'ampleur de la crise.

Une autre cave, qui serait au bord de la faillite selon plusieurs sources, va jusqu'à annoncer qu'une partie de la vendange ne sera carrément pas payée. Tandis que d'autres encaveurs proposent de payer une partie de la vendange de l'an dernier en bouteilles de vin. "Mais ce n'est pas avec des bouteilles de vin que je vais payer mes factures", lance un autre vigneron qui souhaite rester anonyme. "Cette pratique pourrait même déboucher sur du marché gris, lors de revente de bouteilles sans autorisation", analyse un fin connaisseur du marché.

"On croit à l'avenir de la branche"

Cet été, un des acteurs majeurs de la scène viticole valaisanne s'est engagé à reprendre la majorité de la vendange de plus de 200 vignerons laissés sur le carreau. L'entreprise encavera un énorme volume supplémentaire. Elle ne dévoile pas de chiffres, mais explique sa démarche. "On prend cette vendange parce qu'on croit à l'avenir de la branche", affirme Frédéric Rouvinez, le responsable du vignoble 'Famille Rouvinez'. Avant de continuer: "On est une famille responsable dans la branche viticole. Il faut savoir stocker et prendre des risques. Nous avons constaté que la plupart de nos collègues ne veulent pas jouer ce rôle-là. On a décidé de faire partie de la solution, c'est la réponse qu'on donne à cette situation."

Les stocks sont pleins alors que la nouvelle récolte arrive. Il faut libérer des fûts, faire de la place. Cette situation est inédite dans toutes les grandes caves de Suisse.

Difficultés liées à la crise sanitaire

Sans compter que le coronavirus est venu jeter de l'huile sur le feu. Avec les hôtels et restaurants restés fermés et les manifestations annulées, une bonne partie des stocks n'a pas pu être écoulée. "Du jour au lendemain nous n'avons plus pu vendre de vin aux restaurants, aux hôtels, aux cafés et tous les événements ont été annulés. Baptêmes, mariages, enterrement et toutes les grandes manifestations, partout où on consomme du vin suisse", explique Jérôme Leupin, directeur de la Cave de Genève.

Mais le coronavirus n'est pas le seul responsable. Un négociant encaveur ose expliquer à visage découvert ce que beaucoup d'acteurs du marché expliquent anonymement: le rôle de la promotion des vins étrangers dans la grande distribution.

Même si la grande distribution a fait un effort de promotion des vins suisses suite au Covid-19, les vins étrangers continuent de squatter le devant de la scène. "L'Union européenne, grandement subventionnée, permet à la grande distribution d'acheter des vins à bon marché et de se faire une marge bien plus grande qu'avec les vins suisses", explique Mathias Delaloye. "Donc il n'y a aucun intérêt à vendre plus de vins suisses et c'est compréhensible."

Lors de la prochaine session parlementaire, plusieurs interventions demanderont une nouvelle réglementation des quotas d'importations. Frédéric Borloz, président de la Fédération suisse des vignerons, travaille, lui, sur une modification de la loi. "Il existe un article, qu'on appelle l'article 22 de la loi sur l'agriculture, qui permettrait de favoriser un importateur qui mettrait en avant les produits suisses", indique-t-il.

En attendant, poussés à bout, certains vignerons songent à arracher leurs vignes. Certaines parcelles ne sont déjà plus travaillées. A terme, les parcelles les plus difficiles d'accès, avec les frais de production les plus élevés, pourraient être délaissées. Le paysage viticole en sera transformé. Il portera les stigmates d'une crise hors norme. 

Claudine Gaillard-Torrent/fgn

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