Le phénomène des vignes délaissées n’avait fait l'objet d'aucune communication, jusqu’aux révélations de la RTS. La branche du vin en a un peu honte. Elle redoute un dégât d'image et n’a donc pas communiqué proactivement sur ce problème. Même silence du côté de la plupart des communes et du canton. Quand ces autorités ont répondu à nos questions, elles l'ont généralement fait très partiellement.
Pourtant, les vignes abandonnées - ou cédées à vil prix - représentent un vrai problème. Pas moins de 300 hectares de vignes abandonnées - entre 2019 et l'année prochaine: c'est à cela que s'attend l'Interprofession de la vigne et du vin du Valais (IVV), qui se base sur les réponses à un questionnaire de la Fédération des vignerons à ses membres.
Etat de friche
Quelque 300 hectares de friches, c'est colossal, sachant qu'il a fallu trente ans pour que le Valais cède 500 hectares, principalement à des projets immobiliers. Le vigneron-encaveur Mathias Delaloye, membre du comité de l'Interprofession de la vigne et du vin, est donc sérieusement inquiet. "Nous avons des retours de la Fédération des vignerons qui sont gravissimes: des vignes qui sont bradées, des vignerons qui sont dans une telle détresse qu'ils les remettent pour un franc symbolique", s’est-il ému vendredi dans La Matinale.
"Des gens ne savent plus quoi faire des vignes. Vu la rentabilité qu'une vigne peut procurer aujourd'hui, plus personne ne s'intéresse à les travailler", poursuit-il.
Concurrence des vins étrangers
Comment en est-on arrivé là? Pendant longtemps, la vigne a rapporté. De nombreuses personnes la travaillaient à côté de leur emploi. Cela amenait beaucoup de beurre dans les épinards. Puis, la vigne a moins payé. Elle a commencé à être louée à des professionnels, qui n'en ont aujourd’hui plus besoin.
Car avec la consommation de vin qui baisse et les importations qui restent stables, la Suisse produit plus de raisin qu'elle n'arrive à vendre de vin. Les vignes les moins rentables, qui sont les plus petites et les moins mécanisables, sont délaissées.
Arrachage par les communes
Cette année à Savièse, 120 parcelles n'ont pas été vendangées. Ces 4 à 5 hectares représentent 2% des vignes du village. Et certaines d'entre elles seront probablement arrachées par la commune, comme l'explique son président Sylvain Dumoulin: "Dès qu’une vigne n'est pas taillée, il y a un délai d'une année pour l’arracher. Sinon il y a le risque de propager des maladies".
Dès qu’un propriétaire a été averti et qu'il ne s’exécute pas, la commune doit le faire par substitution et facturer les travaux au propriétaire, détaille Sylvain Dumoulin. "Il y a quelques vignes où nous devons le faire maintenant, et je crains que cela augmente à l'avenir".
L'année passée, les communes valaisannes ont dû arracher un hectare et demi. Le phénomène n'est pas nouveau. Si les propriétaires ne renoncent pas, c'est dans l'espoir de vendre à bon prix. Mais pour Sylvain Dumoulin, cela ne semble pas aller dans le sens de l'histoire.
"Dans les années 1950, il n'y avait pas autant de vignes en Valais. Puis, il y a eu un 'boom' de la viticulture et beaucoup de champs ont été transformés en vignes. Mais je pense que là, nous risquons un retour en arrière et peut-être que des vignes vont redevenir des champs. D'autres cultures vont peut-être aussi émerger, ou alors il y aura simplement un retour à la nature à certains endroits".
Trop de vignes?
Pour le politicien, la viticulture valaisanne n'est pas morte, "mais elle doit se réduire un peu. En tout cas, il y a trop de vignes par rapport à ce qu'on consomme et qu'on peut produire".
L'Interprofession de la vigne et du vin se bat, malgré tout, contre une diminution du vignoble, en rappelant que le paysage viticole est un atout touristique du canton. Il y a deux semaines, l'IVV a transmis au Conseil d'Etat des propositions de mesures, dont un doublement des paiements directs.
La branche ne craint rien de moins que la disparition d'un cinquième du vignoble à moyen terme. Le phénomène méconnu des vignes délaissées en dit long sur la crise de la viticulture.
Sujet radio: Romain Carrupt
Adaptation web: Jean-Philippe Rutz