C’est une plainte pénale qui va sûrement secouer le monde vitivinicole valaisan. Elle a été déposée récemment par le Contrôle suisse du commerce des vins et elle vise entre autres Château Constellation, la cave proche de Dominique Giroud.
Tout débute en février. Un courtier valaisan propose deux échantillons de vin, du "Chardonnay AOC Valais 2019" et du "Ermitage AOC Valais 2019" aux Caves Orsat, qui appartiennent à la famille Rouvinez, une institution dans le canton.
Au sein des Caves Orsat, un comité de dégustation goûte ces deux vins. "Nous avons trouvé qu’ils se ressemblaient beaucoup alors qu’il s’agit de deux cépages normalement très différents", raconte Véronique Besson-Rouvinez. Dans le doute, elle décide de les faire analyser à l’interne. "Les analyses ont montré que ces deux vins étaient probablement identiques, mais aussi que le taux de sulfite était particulièrement bas. C’est souvent le cas pour des vins jeunes, mais ça ne devrait pas être le cas pour un millésime 2019", précise-t-elle.
"Des pratiques scandaleuses"
Les Caves Orsat font alors procéder à une analyse isotopique, un outil utile dans la traçabilité du produit. "Nous avons montré les résultats à un expert et il pense que les échantillons proviennent de régions côtières et sûrement méditerranéennes", explique Véronique Besson-Rouvinez.
Les Caves Orsat déposent une plainte pénale contre inconnu le 21 février. Elles évoquent une éventuelle tromperie sur la marchandise ainsi que d’autres infractions allant jusqu’à l’escroquerie. Mais quelques jours plus tard, une procureure de l’Office régional du Bas-Valais rend une ordonnance de non-entrée en matière.
Pour faire simple, elle indique que l’escroquerie suppose une tromperie astucieuse, mais que dans le cas présent, les Caves Orsat ont pu aisément vérifier que le vin livré n’avait pas les qualités requises. Pour la procureure, le caractère astucieux de la tromperie ne tient donc pas.
Malgré ce revers en justice, les Caves Orsat ne se découragent pas. "Nous voulions vraiment savoir qui était derrière l’intermédiaire qui nous avait proposé ces échantillons, mais aussi mettre un terme à des pratiques scandaleuses qui pénalisent toute la branche", précise Véronique Besson-Rouvinez.
Filature organisée
Elle décide alors d’acheter les plus de 30'000 litres de "Chardonnay AOC Valais 2019" et d'"Ermitage AOC Valais 2019" proposés par l’intermédiaire. A 6,50 francs le litre, la facture dépasse les 200'000 francs. La livraison doit avoir lieu le 28 février. Dans les jours qui précèdent, la famille Rouvinez demande au Contrôle suisse du commerce des vins et au Service de la consommation et des affaires vétérinaires du Valais de procéder à un contrôle le jour de la livraison.
Le jour J, deux inspecteurs du Contrôle suisse du commerce des vins et deux contrôleurs du Service de la consommation sont présents sur place, à Martigny, mais ils se cachent. Un premier camion-citerne arrive vers 10h du matin. Il est censé transporter près de 19'000 litres de "Chardonnay AOC Valais 2019". Les contrôleurs prélèvent des échantillons et mettent sous scellés la cuve dans lequel le vin est déchargé.
Le camion repart pour chercher la deuxième livraison et les contrôleurs décident de le filer. Ils constatent alors que le véhicule se rend chez Château Constellation, à Sion, pour le deuxième chargement, avant de s’arrêter quelques instants chez le courtier. Il se dirige ensuite à Martigny pour la deuxième livraison. Les contrôleurs prélèvent de nouveau des échantillons de ce qui est vendu comme "Ermitage AOC Valais 2019" et mettent sous scellés les quelque 15'000 litres livrés.
Des doutes renforcés
Environ deux semaines plus tard, le 18 mars, le Contrôle suisse du commerce des vins écrit aux Caves Orsat et indique que "les premiers résultats d’analyse renforcent les doutes selon lesquels la provenance géographique de ces deux lots ne correspondrait pas à celle confirmée par le fournisseur".
Le Contrôle suisse du commerce des vins va plus loin le 6 mai. Dans un courrier toujours adressé aux Caves Orsat, il précise qu’en rapport avec les vérifications concernant la provenance géographique du vin, il a déposé "une plainte pénale auprès du Ministère public du canton du Valais contre les entreprises impliquées dans la livraison de celui-ci".
Contacté, le Contrôle suisse du commerce des vins répond par courriel qu’il "ne communique pas sur ce qui concerne les dossiers en cours". Le procureur général valaisan, Nicolas Dubuis, répond pour sa part que "le Ministère public valaisan n’entend pas communiquer, en l’état, sur ces affaires en cours".
Sollicité à plusieurs reprises vendredi et samedi, Yannis Sakkas, avocat de Dominique Giroud, indique par courriel que "Dominique Giroud n'est ni administrateur, ni directeur ni même employé de Château Constellation" et suggère de prendre contact avec le directeur de la société. Me Sakkas tient encore à souligner que "Dominique Giroud n’a, à ce jour, jamais été condamné pour ses pratiques œnologiques".
Château Constellation "n’a jamais trompé personne"
Contacté vendredi en début d’après-midi, le directeur de Château Constellation Claude Thiéry a répondu par écrit samedi en début de soirée. Il n’évoque pas la plainte pénale déposée par le Contrôle suisse du commerce des vins, mais dit que "Château Constellation a appris le 17 mars que deux lots faisaient l’objet de questionnements du Contrôle suisse du commerce des vins."
"Nous avons immédiatement collaboré (...) Nous faisons en effet tout pour identifier si un problème est survenu et en découvrir l’origine. Nous avons sans délai interpellé l’ensemble des fournisseurs de ces lots, que cela soit les caves nous ayant fourni une partie du vin ou les fournisseurs de vendanges concernés. Nous avons demandé que nous soit également remis le plan de pulvérisation de leurs exploitations viticoles. Toutes les informations reçues ont été transmises en toute transparence au Contrôle suisse du commerce des vins", ajoute-t-il.
Claude Thiéry souligne que "Château Constellation n’a jamais trompé personne" et n’a pas vendu de vin aux Caves Orsat, mais à une cave du Valais central "qui nous a fait part de sa satisfaction". Dans les faits, c’est effectivement un courtier qui a joué les intermédiaires entre Château Constellation et Caves Orsat, en organisant le transport du vin de Sion à Martigny.
Dans sa réponse écrite, Claude Thiéry relativise également la portée des analyses isotopiques laissant entendre que les vins vendus ne proviendraient pas du Valais, mais sûrement de l’étranger. "Les mesures isotopiques, même réalisées dans de bonnes conditions, ne sont pas des preuves, tout au plus des indices", estime-t-il. "Elles doivent être confirmées ou infirmées par d’autres éléments probants (...) Nous avons d’ailleurs appris que les lots dont il est question se trouvaient entreposés chez une autre cave lors d’un incendie. Cela a pu jouer un rôle."
Il appartient désormais à la justice pénale de déterminer s’il y a eu une tentative d’escroquerie et qui en serait l’auteur.
Fabiano Citroni