Dominique Giroud est mêlé à l'affaire du vin étranger vendu sous l'appellation AOC Valais
L'affaire a secoué le milieu vitivinicole valaisan. Le 15 mai, la RTS et Le Matin Dimanche faisaient état de la plainte pénale déposée par l'instance de contrôle du vin à l'encontre de Château Constellation, la cave proche de Dominique Giroud, soupçonnée d'avoir livré aux Caves Orsat plus de 30'000 litres de vin étranger sous l'appellation AOC Valais.
>> Lire aussi : Le Contrôle suisse du commerce des vins porte plainte contre Château Constellation
L'enquête de la RTS, qui s'appuie sur des documents officiels, démontre que Dominique Giroud, l'encaveur le plus célèbre mais aussi controversé du canton, n'est pas étranger à cette vente au cœur de l'instruction pénale. Cela ne signifie pas pour autant qu'il porte une quelconque responsabilité dans la présumée escroquerie.
Pour bien comprendre pourquoi son nom figure dans une déclaration transmise au Contrôle suisse du commerce des vins, il faut rembobiner le fil.
Courant février, un courtier basé à Sion propose deux échantillons de vin aux Caves Orsat, qui appartiennent à la famille Rouvinez. Il y a du "Chardonnay AOC Valais 2019" et de l'"Ermitage AOC Valais 2019".
Au sein des Caves Orsat, un comité de dégustation goûte ces deux vins mais trouve qu'ils se ressemblent beaucoup. Il les fait analyser à l'interne et les résultats renforcent les doutes sur la provenance géographique du vin.
La famille Rouvinez alerte le Contrôle suisse du commerce des vins qui procède à ses propres analyses, effectue des vérifications puis saisit le Ministère public valaisan.
Document officiel
Selon nos sources, avant de porter plainte, l'instance de contrôle s'est rendue le 1er mars dans les locaux du courtier qui a joué les intermédiaires entre Château Constellation et les Caves Orsat. Ce dernier a pris position par écrit et la RTS a pu lire sa déclaration adressée au Contrôle suisse du commerce des vins. Elle remplit un peu plus d'une page A4. C'est dans ce document officiel que le nom de Dominique Giroud est mentionné à deux reprises.
Dès le début de sa déclaration, le courtier confirme avoir acheté oralement environ 18'000 litres de Chardonnay et 14'000 litres d'Ermitage. Il fait état de "contacts oraux" avec un courtier indépendant basé à Saillon. Puis il écrit : "La transaction a été confirmée par message le 10 février par Monsieur Dominique Giroud de la maison Château Constellation SA (...) Château Constellation Vin SA nous a mentionné clairement les qualités des vins, notamment dans le message, soit Chardonnay AOC Valais 2019 et Ermitage AOC Valais 2019, avec les volumes correspondant ainsi que les prix de chaque lot".
Le courtier écrit une seconde fois le nom de Dominique Giroud dans le dernier paragraphe de sa prise de position. "En annexe, nous joignons le message de confirmation des prix et des lots entre Monsieur (...) et Monsieur Dominique Giroud du 10 février 2022, les copies des bulletins et factures de revente de la marchandise (...)", indique-t-il au Contrôle suisse du commerce des vins.
Contacté par nos soins, il confirme avoir eu un échange avec Dominique Giroud pour finaliser la vente. A notre demande, il nous a même lu cet échange écrit.
Le silence de Dominique Giroud
Cet échange qui valide la vente des quelque 30'000 litres de vin ne signifie pas que Dominique Giroud est à l'origine de la présumée escroquerie ni qu'il y a contribué d'une façon ou d'une autre. En revanche, il atteste qu'il a eu son mot à dire dans cette transaction qui est aujourd'hui au centre de l'instruction pénale.
Il y a deux semaines, pourtant, lorsque nous avions interrogé Dominique Giroud, par l'entremise de son avocat, sur cette vente incriminée, nous avions été renvoyé dans les cordes. "Dominique Giroud n'est ni administrateur, ni directeur ni même employé de Château Constellation", avait souligné par courriel Me Yannis Sakkas, son avocat, avant de nous inciter à prendre contact avec le directeur de Château Constellation.
A l'entendre, Dominique Giroud serait donc étranger à la transaction. Notre enquête démontre que ce n'est pas le cas. Mardi matin, nous avons donc transmis une nouvelle série de questions à son avocat. Elles sont restées sans réponse.
Fabiano Citroni
Sous enquête pénale depuis cinq ans
Ce n'est pas la première fois que Dominique Giroud est impliqué dans une affaire vitivinicole. En 2015, l'IVV (Interprofession de la vigne et du vin du Valais) dépose ainsi une plainte pénale à son encontre pour concurrence déloyale. Deux ans plus tard, il y a donc cinq ans, le ministère public valaisan ouvre une instruction contre lui pour escroquerie voire infraction à la loi contre la concurrence déloyale, gestion déloyale, faux dans les titres.
En 2019, la procureure rend une ordonnance de disjonction des causes pour garantir que l'action pénale ne soit pas prescrite pour certains faits. Cela signifie qu'elle décide de mener deux procédures de front: celle portant sur les faits antérieurs à 2010 reprochés à Dominique Giroud; celle portant sur les faits postérieurs à 2009.
Faits antérieurs à 2010 classés
Le 20 avril 2020, la procureure classe la procédure portant sur les faits antérieurs à 2010. Aucune publicité n'est faite autour de cette décision dont les médias prennent connaissance via un arrêt du Tribunal fédéral du 25 novembre 2020. Cet arrêt indique qu'il est reproché à Dominique Giroud "d'avoir mis en vente sous l'étiquette AOC Valais des vins mélangés avec des vins provenant de l'étranger ou d'autres cantons que celui du Valais. Le coupage aurait dépassé la tolérance admise par les normes AOC Valais."
Cet arrêt indique également que le classement de la procédure portant sur les faits antérieurs à 2010 est lié au fait qu'une personne ne peut pas être pénalement poursuivie ou puni deux fois pour les mêmes faits. Or, aux yeux du Ministère public valaisan, la condamnation de Dominique Giroud en juillet 2014 pour usage de faux à des fins fiscales prononcée par le Ministère public vaudois "fait obstacle à la poursuite de la procédure" portant sur les faits antérieurs à 2010 dénoncés par l'IVV et ce, même si l'enquête menée en Valais a "mis en lumière d'autres faits potentiellement constitutifs d'escroquerie, de gestion déloyale, de faux dans les titres et de concurrence déloyale".
Nous avons demandé à plusieurs reprises à Dominique Giroud de nous transmettre cette ordonnance de classement, mais il a toujours refusé.
Des vins sous analyse
Concernant les faits postérieurs à 2009 reprochés à Dominique Giroud et figurant dans la plainte de l'IVV, la procureure a rendu une ordonnance de non-entrée en matière en octobre 2021 en expliquant, dans les grandes lignes, que les faits de concurrence déloyale étaient déjà prescrits au moment de l'ouverture de la procédure. Cette décision a été confirmée par la Chambre pénale et elle a été portée par l'IVV devant le Tribunal fédéral, qui n'a pas encore statué.
Toujours selon l'arrêt du Tribunal fédéral du 25 novembre 2020, Dominique Giroud a fait l'objet d'une dénonciation auprès du Ministère public valaisan par l'Etat du Valais en juin 2015. Selon le Tribunal fédéral, il ressort de cette dénonciation que "les valeurs isotopiques mesurées dans une bouteille d'Œil-de-perdrix AOC Valais 2013 commercialisée par Cave Saint-Valentin SA étaient telles que le vin ne pouvait pas provenir du Valais. Ce vin aurait été mis en bouteille par Scherer & Bühler AG qui l'aurait acquis en vrac auprès de Giroud Vins SA en 2013".
Dans un courriel qu'il nous a adressé le 14 mai, Me Yannis Sakkas balaie cette accusation. "Mon client a donné toutes les explications utiles à la justice il y a plusieurs années déjà. Il est notamment apparu que les analyses du laboratoire cantonal valaisan ne correspondaient pas du tout au vin qui a effectivement été vendu. Mon client a fourni toutes les preuves, contre-expertises et analyses correspondantes faites notamment par un laboratoire agréé en Suisse", indique Me Sakkas, ajoutant que "à ce jour, Dominique Giroud n'a jamais été condamné pour ses pratiques œnologiques".
Interpellé sur le traitement réservé par la justice cette dénonciation, le procureur général valaisan, Nicolas Dubuis, fait savoir qu'il n'entend pas communiquer, "en l'état, sur des affaires en cours".