Modifié

Le canton du Valais est le champion suisse des forfaits fiscaux

En 2020, le Valais est devenu le canton comptant le plus de bénéficiaires du forfait fiscal. C'est une première qui fait parler.
En 2020, le Valais est devenu le canton comptant le plus de bénéficiaires du forfait fiscal. C'est une première qui fait parler. / 19h30 / 2 min. / le 6 novembre 2022
En 2020, le Valais comptait 946 personnes imposées d'après la dépense. Aucun autre canton n'en dénombrait autant, selon les données récoltées par le Pôle enquête de la RTS.

C'est une première pour lui. En 2020, le Valais est devenu le canton comptant le plus de personnes au bénéfice d'un forfait fiscal. Longtemps deuxième du "classement" derrière son voisin vaudois, il figure désormais sur la plus haute marche du podium (946) devant le canton du Tessin (896), le canton de Vaud (892) et le canton de Genève (523).

Ces données ont été fournies au Pôle enquête de la RTS par les autorités fiscales cantonales. Nos recherches se sont concentrées sur ces quatre cantons qui se taillent la part du lion en matière de forfaits fiscaux. Ils accueillent environ 75% des personnes imposées d'après la dépense.

La RTS s'est intéressée également aux impôts moyens payés par les "forfaitaires fiscaux" domiciliés dans ces quatre cantons. Il faut rappeler que, selon la loi, ces personnes ne doivent pas posséder le passeport suisse ni exercer une activité lucrative dans le pays. Elles ne sont alors pas imposées sur leur revenu mais sur le montant total des frais liés à leur train de vie, on parle ainsi d'imposition d'après la dépense.

En Valais, l'impôt heureux

Les données publiées depuis une dizaine d'années par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances, mais aussi celles qui nous ont été transmises par les fiscs cantonaux, montrent que les bénéficiaires du forfait fiscal paient en moyenne plus d'impôts à Genève que dans les cantons de Vaud et du Tessin. Le canton du Valais affiche systématiquement la moyenne la plus basse.

En 2020, par exemple, un forfaitaire fiscal payait en moyenne 266'000 francs d'impôts à Genève, 176'000 francs au Tessin et 118'000 francs en Valais. Les chiffres vaudois n'ont pas encore pu être obtenus.

Champion du forfait fiscal et canton qui taxe le moins les étrangers très fortunés, le canton du Valais pratique-t-il du dumping fiscal? Mardi 1er novembre, en tout cas, interrogé par le 19h30, l'ancien directeur du Contrôle fédéral des finances Michel Huissoud évoquait "un problème général de sous-enchère fiscale".

Il était alors questionné en marge du différend qui oppose les cantons de Genève et du Valais quant à la domiciliation du milliardaire français Patrick Drahi, au bénéfice d'un forfait fiscal en Valais. Sans se prononcer sur ce cas précis ni incriminer tel ou tel canton, Michel Huissoud confiait que, pour attirer des contribuables très fortunés, des cantons "pouvaient fermer les yeux sur un certain nombre de faits".

>> Lire à propos du forfait fiscal de Patrick Drahi : Le patron de BFM TV Patrick Drahi est rattrapé par le fisc genevois

Contacté pour donner son avis, le président du Conseil d'Etat valaisan, Roberto Schmidt, par ailleurs chef du Département des finances, a répondu qu'il fallait poser ces questions à Beda Albrecht, chef du Service cantonal des contributions.

Le chef du fisc valaisan se défend

Ce dernier a accepté de répondre aux questions de la RTS, mais par écrit. "Le canton du Valais ne fait aucun dumping fiscal pour attirer des étrangers fortunés", répond-il. Il précise que "la qualité de vie" joue un rôle dans le choix de certains contribuables, mais aussi que "certaines dispositions légales cantonales" peuvent peser dans la balance. Beda Albrecht fait référence au taux d'imposition maximal qui est moins élevé en Valais (36%) qu'à Genève (45%).

Le chef du fisc valaisan certifie également que tous les dossiers des candidats au forfait sont épluchés et que rien n'est fait à la légère. "Tout contribuable désirant bénéficier de l'impôt sur la dépense doit déposer un questionnaire faisant état du détail de ses dépenses universelles. Ses dépenses sont ensuite évaluées et comparées avec les autres critères ressortant des dispositions légales. Un accord fiscal est alors établi", explique Beda Albrecht.

Pour ce qui est de l'impôt moyen bien moins élevé que dans les autres cantons, "plusieurs facteurs" expliqueraient les chiffres, selon le fonctionnaire. Il met d'abord en avant le profil des personnes au bénéfice de l'imposition d'après la dépense en Valais. "Elles sont nombreuses à être en âge de retraite et à avoir donc par exemple des dépenses moins élevées que les familles avec enfants en formation", dit-il.

Beda Albrecht relève aussi que les loyers, qui servent de base d'imposition, sont moins élevés en Valais  "qu'à Genève, Lausanne ou Lugano", et que le montant imposable sera ainsi "mathématiquement moins élevé" en Valais que dans les autres cantons.

Il met en avant un dernier élément: le montant minimum applicable en matière d'imposition d'après la dépense est moins élevé en Valais que dans les cantons de Genève, Vaud et Tessin, et cela peut donc faire baisser la moyenne. En Valais, le montant minimum sur lequel est calculé l'impôt est ainsi de 250'000 francs contre 445'000 francs à Genève.

Pour Beda Albrecht, on ne peut donc pas dire que le canton du Valais se montre généreux, fiscalement parlant, avec les étrangers très fortunés. Il en veut pour preuve qu'en neuf ans, le nombre de forfaitaires fiscaux établis en Valais a diminué de près de 30%, passant de 1214 personnes en 2013 à 874 en 2021. "Près de deux tiers de ces contribuables ont opté pour l'imposition ordinaire", assure-t-il.

Un élu demande un contrôle accru

Malgré cette baisse, le Valais comptait toutefois l'an dernier davantage de bénéficiaires du forfait que les cantons de Vaud (837) et Genève (527). Les chiffres tessinois ne sont pas encore connus.

Les explications du chef du fisc valaisan ne convainquent en tout cas pas le conseiller national socialiste valaisan Emmanuel Amoos. Interrogé dans le 19h30, il affirme que "le canton du Valais fait preuve d'une grande complaisance pour l'octroi de ces forfaits fiscaux" et ce, "alors que la population subit de plein fouet une crise du pouvoir d'achat".

L'élu socialiste se dit "choqué". Il estime que "les cantons se livrent une vraie guerre, une vraie compétition pour attirer sur leur sol les bénéficiaires de forfaits fiscaux". Il annonce donc en primeur à la RTS qu'il va "demander la mise en place d'un contrôle accru" de la part du Conseil fédéral.

Fabiano Citroni - Pôle enquête

Publié Modifié