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Les abos de ski au rabais des élus valaisans pourraient relever du pénal

Un skieur sur la piste "Red Run" au Glacier 3000. [Keystone - Jean-Christophe Bott]
Des abonnements de ski gratuits ou à prix réduits pour les élus suisses / La Matinale / 5 min. / le 23 décembre 2022
En Valais, des élus touchent des abonnements de ski gratuits ou à prix préférentiel. Mais cette pratique, en vigueur aussi dans une moindre mesure à Fribourg, pourrait constituer une infraction, selon l'enquête de la RTS.

Les politiciens valaisans bénéficiant d'avantages sur les abonnements de ski siègent parfois à l'exécutif d'une commune. D'après les recherches effectuées par la RTS, cette pratique ne se retrouve nulle part ailleurs en Suisse romande.

Et les modèles sont divers dans le canton. Par exemple, la gratuité est totale à Verbier, aux Portes du Soleil, à Nax et à Nendaz/Veysonnaz.

A Crans-Montana, l'abonnement est offert aux présidents de commune. Depuis cette année, un rabais de 20% est accordé par ailleurs aux membres de l'exécutif.

Les journées sont gratuites à Anzère. Mais aucun avantage n'est offert, en revanche, à Grimentz/Zinal, à Ovronnaz, aux Marécottes ou dans les stations du Pass St-Bernard.

Un tel cadeau "n'est pas anodin"

Ce type de petits cadeaux est assimilé par certains politiciens à celui qui a valu une condamnation à l'ancien conseiller d'Etat Pierre Maudet, pour "acceptation d'un avantage", à Genève.

>>Lire: Pierre Maudet a bien fauté en allant à Abu Dhabi, tranche le Tribunal fédéral

Et certains élus valaisans ne cachent pas leur embarras. C'est le cas de Charles Clerc, conseiller communal UDC à Troistorrents. Il a refusé l'abonnement gratuit, pour des questions d'éthique.

"Ce qui m'interpelle un tout petit peu, c'est déjà la valeur du montant pour l'abonnement de ski. Pour la saison, sur les Portes-du-Soleil suisses, c'est 850 francs. Ce n'est pas anodin de recevoir un tel cadeau", souligne-t-il vendredi dans La Matinale de la RTS.

"Et ce qui m'interpelle un tout petit peu plus", poursuit Charles Clerc, "c'est que les collectivités publiques sont en relation avec les remontées mécaniques sur différents sujets - financiers, d'aménagement du territoire. C'est toujours un petit peu délicat pour moi d'accepter un tel cadeau".

S'investir pour les remontées mécaniques

Le conseiller national Benjamin Roduit, lui, est l'un des seuls parlementaires du Valais romand à bénéficier de cet abonnement. "Je suis issu d'un canton alpin où l'industrie touristique est très importante", s'est-il défendu vendredi soir dans l'émission Forum.

"En étant élu à Berne, j'estime qu'il vaut la peine de s'investir notamment pour la promotion des remontées mécaniques", a jouté le représentant du Centre. "Je suis trop amateur de randonnées pour ne pas profiter de ce qui peut être vu (…) comme un avantage. Mais oui, je l'assume".

>> Le débat entre Benjamin Roduit et Charles Clerc dans Forum :

Un politique peut-il se faire offrir son abonnement de ski? Débat entre Benjamin Roduit et Charles Clerc
Un politique peut-il se faire offrir son abonnement de ski? Débat entre Benjamin Roduit et Charles Clerc / Forum / 9 min. / le 23 décembre 2022

"Il n'y a jamais rien eu en échange"

Le directeur des remontées mécaniques des Portes du Soleil Suisse, de son côté, nie toute forme de corruption. "Coûter aussi peu cher pour se mettre les politiques dans la poche, ce n'est pas sérieux", remarque Pascal Bergero en assurant qu'il n'y a jamais rien eu en échange. "On ne s'est même jamais posé la question, pour nous c'est naturel."

Pour ce responsable, ce n’est pas aux remontées mécaniques d’enlever aux politiciens ce qui leur a toujours été accordé. "Mais si ça pose des problèmes, on peut changer les règles". En clair: un changement de pratique devrait venir de celles et ceux qui en bénéficient.

A noter que Charles Clerc n'est pas le seul politicien à refuser un abonnement gratuit. A Nendaz, la conseillère communale socialiste Sarah Constantin rejette aussi ce privilège. A Verbier, des élus font de même, mais parce que leurs employeurs dans le privé n'autorisent pas les cadeaux de tels montants.

Deux élus à Berne agacés par la question

Les remontées mécaniques valaisannes proposent aussi leur abonnement général à 100 francs, au lieu de 1575 francs, aux parlementaires du canton à Berne ainsi qu'aux conseillers d'Etat.

Mais cinq des sept élus du Valais romand aux Chambres fédérales considèrent qu'il y a effectivement un problème d'indépendance. Emmanuel Amoos (PS), Christophe Clivaz (Les Verts), Sidney Kamerzin (Le Centre), Marianne Maret (Le Centre) et Philippe Nantermod (PLR) ont toujours décliné ou déclinent désormais l'abonnement général de ski valaisan qui leur est proposé à un prix canon.

Seuls Jean-Luc Addor (UDC) - qui n'a pas l'impression de s'être fait proposer l'abonnement cette année -  et Benjamin Roduit (Le Centre) ne voient pas de problème à bénéficier de l'offre et s'agacent de la question.

Avantages relevant "très probablement" du pénal

Pour le directeur de Transparency Suisse Martin Hilti, cette pratique est maladroite et témoigne d’une faible sensibilité aux conflits d’intérêts. Il se pose même la question d'une responsabilité pénale, sous l'angle de l'octroi et de l'acceptation d'un avantage. Il s'agit d'infractions poursuivies d'office, rappelle-t-il. En clair: un procureur qui apprendrait cette pratique serait censé ouvrir une procédure. Le professeur Mark Pieth, spécialiste de la corruption, estime lui aussi que ces avantages relèvent "très probablement du pénal".

Les règles de "compliance" de l'Etat du Valais prescrivent par ailleurs que les membres du Conseil d'Etat ne peuvent en principe accepter des avantages "que s'ils sont conformes aux usages sociaux, de faible importance et raisonnables".

Christophe Darbellay pas prêt à y renoncer

Franz Ruppen (qui ne skie pas) et Mathias Reynard renoncent au rabais de 1475 francs - à l'inverse de Frédéric Favre, Roberto Schmidt et Christophe Darbellay. Ce dernier s'engage beaucoup pour le ski, mais n'y voit pas un retour d'ascenseur.

"Ce n'est pas une contrepartie, je crois qu'on agit en toute indépendance", réagit l'élu du Centre, en prenant pour preuve la Convention collective de travail que le Conseil d’Etat valaisan "a infligé à la branche qui n’en voulait pas".

"Je ne vois pas en quoi avoir un abonnement général nous rend dépendant d'une société ou de l'autre". Et Christophe Darbellay n'a "pas du tout" l'intention d'y renoncer. "On n'est pas dans l'affaire Maudet", ajoute-t-il. "C'est quelque chose de totalement transparent."

>> Ecouter l'interview complète de Christophe Darbellay :

Le conseiller d'Etat valaisan Christophe Darbellay. [Keystone - Jean-Christophe Bott]Keystone - Jean-Christophe Bott
Abonnements de ski au rabais des élus valaisans: la réaction de Christophe Darbellay / La Matinale / 3 min. / le 23 décembre 2022

D'autres corporations concernées

Les remontées mécaniques fribourgeoises offrent elles aussi un abonnement à leurs conseillers d'Etat. Mais, d'une valeur de 300 francs, celui-ci coûte cinq fois moins cher qu'en Valais.

Dans ce dernier canton, d'autres corporations ont aussi profité de ces avantages. Ainsi, les journalistes membres de l'association de la presse valaisanne touchaient gratuitement l'AG du ski valaisan, puis ont dû ensuite le payer 500 francs. Aujourd'hui, cet avantage n'existe plus que pour des skieurs d'élite, des personnalités touristiques et des politiques.

Romain Carrupt/oang

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