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Christian Constantin: "Quand je m'effacerai, le rideau tombera et il n'y aura plus de spectacle"

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#Helvetica: Christian Constantin, Président du FC Sion / #Helvetica / 20 min. / le 11 mars 2023
Alors que la valse des entraîneurs continue au FC Sion, le club pourrait devoir composer sans l'argent de son légendaire président dès l'été 2024. Le bouillant promoteur a dépeint à la RTS un avenir sombre pour le foot en Valais, canton qu'il juge coupable d'en faire trop peu pour assurer l'avenir d'un sport qui touche "un gamin sur deux et demi".

Depuis son arrivée à la tête du FC Sion en 1992, Christian Constantin n'a cessé de virer et d'engager des entraîneurs, pas loin d'une soixantaine au total aujourd'hui (lire premier encadré). Le dernier en date, Fabio Celestini, n'aura tenu que 6 matchs. Le nouvel élu s'appelle David Bettoni, ancien adjoint de Zinédine Zidane au Real Madrid.

Lorsqu'une équipe ne performe pas, à qui la faute? Président? Entraîneurs? Joueurs? Dans le cas de Fabio Celestini, "je veux pas dire que c'est de sa faute ou de ma faute. On peut bien dire que c'est la faute des joueurs, mais ça ne va pas nous faire avancer beaucoup, parce qu'on a besoin d'eux", analyse Christian Constantin samedi dans l'émission Helvetica de la RTS. Il se permet toutefois un petit tacle: "Les joueurs, très objectivement, c'est souvent les plus coquins et les moins critiqués", notamment par le public qui souvent les protège. A l'instar d'un Mario Balotelli, qui n'a pas encore fait d'étincelles en Valais (lire deuxième encadré).

Les joueurs, très objectivement, c'est souvent les plus coquins et les moins critiqués

Christian Constantin

Vers la fin du foot pro en Valais?

Longtemps, les besoins financiers du FC Sion ont été couverts par le magnat de l'immobilier valaisan, moyennent parfois, de l'avis de la justice du moins, des montages financiers fiscalement répréhensibles. De quoi menacer la survie du FC Sion dans l'élite du football suisse? Si son président n'a plus les moyens ou la volonté d'avancer ces montants, qui prendra la relève?

>> Lire aussi : Le Tribunal fédéral déboute Christian Constantin dans une affaire fiscale à Fribourg

"Moi, je m'efface volontiers! Mais le problème, c'est que quand je m'effacerai, c'est un rideau qui tombe. Et quand tu as un rideau qui tombe, c'est le noir et il n'y a plus de spectacle", annonce, pessimiste, le chef d'orchestre du football de haut niveau en Valais. "J'arrête l'activité professionnelle [dans le football], puisqu'aujourd'hui il n'y a plus de cadre pour une telle activité en Valais. Mon système de faire, le mécénat, n'est plus possible. L'argent que je jette déjà dans le foot, il faut encore l'augmenter d'un tiers pour le donner au fisc, pour remplacer un travail qui devrait être d'ordre public, celui des infrastructures et de l'écolage...", déplore-t-il.

J'arrête avec le football professionnel car aujourd'hui, il n'y a plus de cadre pour une telle activité en Valais

Christian Constantin

Pour sauver le football professionnel valaisan, la solution qu'il prêche de longue date passe par l'investissement d'environ 150 millions de francs - une somme dont il est prêt à avancer le tiers - notamment dans un nouveau stade. "Oui, c'est une somme énorme, mais parce qu'on n'a rien fait pendant des années! C'est fondamental d'avoir un stade en Valais si on veut garder du foot professionnel. Toute la ligue a des stades nouveaux. Nous sommes les derniers des Mohicans, les derniers des malheureux", se désole le président du FC Sion... qui a néanmoins glissé, fin janvier dernier, qu'il pourrait rester à son poste si un tel projet se concrétisait.

"Ailleurs, on aide!"

Le canton alpin est pourtant une terre de football, foi de Christian Constantin. "Entre 9 et 19 ans, un gamin sur deux et demi est concerné par le foot en Valais. C'est la troisième source d'éducation qu'on a après la famille et l'école! Ces gamins-là, il faut bien leur donner des emplacements pour qu'ils puissent jouer, à un moment où tout est un peu dénaturé, où il n'y a plus de terrains et de prés devant les maisons...", plaide celui qui a été, notamment, gardien de Neuchâtel-Xamax à la fin des années 70.

En Valais, le football est la troisième source d'éducation après la famille et l'école

Christian Constantin

Ailleurs en Suisse, le petit monde du ballon rond tourne pourtant sans Christian Constantin. Mais c'est un ailleurs où on a la chance d'avoir des politiciens qui ont investi dans un stade, d'avoir une population suffisante pour investir une partie des impôts pour la jeunesse ou le football, objecte l'entrepreneur immobilier. "Ailleurs, on aide! Les politiciens, on ne les a pas [avec nous]. En Valais, même les entreprises à majorité étatique ne soutiennent pas les activités pour la jeunesse", dénonce-t-il. "Nous, on est dans une zone périphérique avec peu de moyens et le plus petit PIB du pays. On n'est pas dans un endroit de riches".

Le modèle d'affaires du football suisse à revoir?

Si Sion semble actuellement dans l'impasse au sein du football suisse, les clubs helvètes dans leur ensemble souffrent en comparaison de ceux des grands pays européens, à la fois en termes de valeur des joueurs sur le marché que de résultats dans les grandes compétitions européennes.

Devenu un tant soit peu prometteur, un joueur sorti du sérail suisse part tout de suite à l'étranger. Le modèle d'affaires du football suisse est-il entièrement à revoir? Faudrait-il revenir à la règle des trois étrangers au maximum par club, comme avant le fameux arrêt Bosman de 1995?

En 3e ou 4e division anglaise, il y a plus de moyens qu'en 1ère division suisse

Christian Constantin

"A l'époque, on faisait beaucoup mieux [...] Les frontières étaient fermées. Aujourd'hui, les clubs étrangers ont tellement plus de moyens que nous que tu ne peux plus garder les mêmes joueurs", convient Christian Constantin. "En 3 ou 4e division anglaise, il y a plus de moyens qu'en 1ère division suisse! Le marché est compliqué. Quand tu es assis dans une tribune, tu penses que tout s'obtient en un claquement de doigts. Mais quand tu es en bas au bord de la pelouse, ça ne se passe pas comme ça...", regrette le patron du football valaisan.

Le visage du football européen va cependant changer sous peu, imagine-t-il. "Demain matin, quand la Superligue européenne va arriver [...], les championnats nationaux qu'on a connus au siècle passé et au début de ce siècle-ci seront certainement désuets, d'ici 20 ans".

Propos recueillis par Philippe Revaz
Article web: Vincent Cherpillod

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"Les entraîneurs? C'est souvent eux qui veulent partir"

Christian Constantin en convient lui-même, près de 60 entraîneurs pour le FC Sion, "forcément, ça fait beaucoup". Au moment d'engager un énième nouvel homme, y croit-il vraiment à chaque fois?

"Evidemment que tu y crois! [...] Après, il faut voir comment ils peuvent résister aux promesses qu'ils me font. Il ne faut jamais oublier que quand on se sépare, ça n'est pas: 'Ecoute, t'as pas gagné, tu pars'", explique le Valaisan. "Souvent, les entraîneurs me disent: 'Tu m'as donné un effectif, je t'ai promis d'atteindre certains objectifs, je ne les ai pas atteints, j'en suis un peu fatigué et c'est bien qu'on se sépare'. C'est souvent eux qui veulent partir", se défend-il.

Divorce à l'amiable ou non

Cette séparation ne se fait pas toujours sans douleur: en 2019, par exemple, Murat Yakin avait eu gain de cause devant le Tribunal d'arrondissement de Martigny après avoir saisi la justice pour que son salaire lui soit versé jusqu'au terme de son contrat malgré un départ ancipé.

Mais le départ des entraîneurs se fait le plus souvent à l'amiable, explique Christian Constantin. Comme avec Fabio Celestini, avec un salaire supplémentaire payé en plus par rapport au moment où il a quitté son poste. "On trouve un chemin d'entente (...)  Il a été très 'fair', très beau joueur. On s'est serré la main et on s'est souhaité bonne chance", révèle le patron du FC Sion. "Souvent, c'est comme ça que ça se passe, parce qu'on a une vraie relation humaine. On ne veut pas se chercher des noises".

Chacun pense y arriver, prouver qu'ici, dans un endroit difficile, il peut faire mieux que les autres, avoir des qualités que les autres n'ont pas eues

Christian Constantin

La vitesse avec laquelle les entraîneurs du FC Sion cèdent la place à d'autres pourrait laisser penser que les prétendants ne se pressent plus au portillon. Or, à en croire le boss de Tourbillon, il n'en est rien. "Vous seriez très surpris des gens qui souhaitent nous rejoindre. Chacun va te dire que Constantin ne va plus trouver personne, mais c'est pas du tout ça", corrige-t-il.

Faire la différence

"Chacun pense y arriver. Pourquoi l'entraîneur assistant de Zizou, qui a gagné trois Ligues des champions, aurait envie de venir entraîner Sion? C'est parce qu'il a réellement envie de prouver ici, dans un endroit difficile, qu'il peut faire mieux que les autres, qu'il peut avoir des qualités que les autres n'ont pas eues. Les gens ont envie de relever le défi, d'assumer, de prendre des responsabilités, et je les écoute tous", explique-t-il. A ses yeux, avec comme point de départ "les mêmes joueurs, le même adversaire, la même problématique à régler, le même temps à disposition", l'entraîneur peut réellement faire une différence.

Pas de miracle avec la star Balotelli

Dernier coup d'éclat du FC Sion dans son recrutement, l'arrivée de l'Italien Mario Balotelli, 32 ans et 36 sélections en équipe d'Italie derrière lui. Mais quand on est entraîneur du FC Sion, comment faire pour dire à une star du football de se donner à fond, d'aller plus vite? "Mario a effectivement un profil de star", convient l'entrepreneur valaisan, qui reconnaît aussi que l'arrivée de l'attaquant aux 20 buts avec l'Inter de Milan, 20 aussi avec Manchester City ou encore 26 avec l'AC Milan n'a pas, pour l'heure, eu l'effet escompté sur les résultats du club.

Mario a effectivement un profil de star

Christian Constantin

"Je ne suis jamais dans le jugement d'un mec sans tenir compte de ce qu'il a pu vivre avant", souligne le Valaisan, répondant à la question de savoir s'il est possible de "brusquer" un Mario Balotelli. "Evidemment, je ne vais pas vous dire que je suis content de ses performances, mais on va tout faire pour qu'il en rende de meilleures".

"Le foot n'est pas rentable!"

Si, pour l'heure, elle n'est pas rentable sur le plan des résultats, l'arrivée d'un tel joueur l'est-elle d'un point de vue financier, en attirant davantage de public au stade ou en permettant de vendre des maillots? "Mais le foot n'est pas rentable!", s'exclame d'emblée le promoteur immobilier. Il faut dire que l'arrivée de la star a fait parler, notamment parce que le fournisseur d’électricité Oiken, dont les tarifs ont explosé cette année, sponsorise le FC Sion. D'aucuns ont eu l'impression de financer le contrat à prix d’or de l'Italien.

>> Lire à ce sujet : Non, l’électricité des ménages valaisans ne sponsorise pas l'arrivée de Balotelli au FC Sion

"Il faut comprendre qu'avant le début d'une saison, sans s'occuper du club professionnel, il faut mettre en Valais 6,2 millions; 3,2 pour les infrastructures, 2,5 pour le centre de formation et 500'000 francs pour les filles. Tout ça me coûte bien plus cher que Mario Balotelli!", rétorque Christian Constantin.

Ballet à deux avec les journalistes

Christian Constantin et les médias romands: une histoire d'amour-haine qui dure depuis des années, sorte de ballet à deux qui participe aussi à son aura.

"Je vois les journalistes comme mon copain [Bernard] Tapie les voyait. Il me disait: 'Le métier de journaliste est un métier compliqué, parce que vous devez parler de tout, et finalement vous ne connaissez pas grand-chose! La chance que vous avez, c'est que vous n'avez jamais de résultats [à rendre] derrière les articles que vous faites. Ce sont de braves personnes, les journalistes... Mais eux non plus ne sont pas toujours à la hauteur de l'événement", provoque le président du FC Sion.

Sa recette pour supporter le pressing d'une enquête embarrassante? Dire toujours la vérité. Car dire un mensonge à un journaliste va lui permettre de faire une excellente enquête, une enquête qui va durer. "Il va aller creuser et tu seras pris par le bout du nez. C'est ce que je disais à [Pierre] Maudet: pourquoi tu ne dis pas tout de suite la vérité? Si tu le fais, eh bien l'affaire s'éteint".