L'Université de Zurich vient de dévoiler une enquête inédite sur un sujet longtemps occulté: les abus sexuels au sein de l'Eglise catholique suisse depuis 1950. Les chiffres sont accablants, avec 1002 cas déjà répertoriés.
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Depuis la publication de ce rapport, d'autres victimes ont osé briser le silence. Dans cet épisode du Point J, Anne*, abusée sexuellement par un prêtre en Valais lorsqu'elle était enfant, partage son histoire. Malgré ses tentatives d'alerter le diocèse de Sion, sa voix n'a jamais été prise en compte.
"Il n'y a eu aucune suite après cette entrevue"
"Ma première déposition a eu lieu en 2010. J'ai été reçue par le vicaire général, qui m'a écoutée. Il n'y a eu aucune suite après cette entrevue. Ni lettre, ni téléphone", affirme-t-elle.
La deuxième déposition a eu lieu en 2017. Dans le cadre de ce nouvel entretien avec le nouveau vicaire général chargé de la gestion des abus pour l'ensemble du diocèse, Anne a demandé une entrevue personnelle avec l'évêque de Sion.
On lui a répondu que le nécessaire allait être fait. "Je n'ai jamais été contactée", témoigne-t-elle dans Le Point J.
Réponse liturgique et transferts plutôt qu'enquête
Selon les premières conclusions du rapport, dans de nombreux cas, les abus sexuels ont été mis de côté. Les accusés ont été transférés et les personnes concernées, de même que les témoins, contraints au silence. Les responsables de l'Eglise ont ainsi accepté que d'autres situations d'abus sexuels se produisent.
Une autre pratique a eu cours dans l'Eglise catholique: lorsque des faits étaient dénoncés par des victimes à des autorités ecclésiastiques, elles répondaient par une prière ou par une demande de pardon, soit une réponse liturgique plutôt qu'une enquête ou un approfondissement des faits qui étaient dénoncés, explique Lorraine Odier, qui a co-rédigé le rapport sur les cas d'abus sexuels dans l'Église catholique romaine en Suisse depuis 1950.
"Aujourd'hui, je n'ai plus honte"
En 2022, Anne a appris par la presse qu'une commission neutre d'historiens de l'Université de Zurich allait faire une étude sur les abus dans l'Eglise catholique. Elle a pris contact avec les responsables et rendu une nouvelle déposition détaillée. "Les gens qui ont déposé sont de grands résistants! On est courageuses, courageux", insiste-t-elle, confiant n'avoir aujourd'hui plus honte de dire ce qu'elle a vécu enfant.
"C'est étrange à dire, mais quand on se fait abuser, on porte le poids de la culpabilité sur ses épaules. On n'a pas pu fuir, se défendre, on a dû subir. On a aussi très peur de ne pas être crue par son entourage et la société. Mais une fois que la parole est rendue, la guérison est là. La honte disparaît."
Juliane Roncoroni et l'équipe du Point J
*prénom d'emprunt
Le diocèse de Sion annonce un audit externe
Dans le rapport zurichois publié le 12 septembre dernier, la Commission d'experts du diocèse de Sion affirme que jusqu'en 2016, personne ne s'était manifesté pour témoigner d'abus. Une déclaration en contradiction avec le témoignage reçu par le Point J, qui a contacté le diocèse pour en savoir davantage.
Ce dernier a répondu par l'intermédiaire de son vicaire général, l'abbé Pierre-Yves Maillard. Il affirme que l'évêque de Sion Jean-Marie Lovey "prend ces allégations très au sérieux et veut y donner suite de la manière la plus appropriée et sans délai". Entendant donner la première place à la parole des victimes, il est "résolu à faire toute la lumière sur la façon dont elles ont été reçues par le passé" et a décidé de confier à un cabinet d'audit externe indépendant et neutre le mandat d'évaluer le fonctionnement des structures, des processus et des personnes qui ont été impliquées dans l'accueil des victimes à cette période.
Les victimes seront conviées à y collaborer et à y apporter leur témoignage. "Sur la base des conclusions de ce rapport, Monseigneur Lovey prendra toutes les mesures nécessaires. Ce rapport apportera également un éclairage sur les procédures actuelles mises en œuvre dans notre diocèse pour que de telles situations ne se produisent plus", promet le diocèse de Sion.