"Je suis complètement secoué. On avait déjà eu des explications ou des dénonciations grâce à cette étude de l'Université de Zurich qui avait été demandée par les églises (des recherches qui avaient été mandatées par trois organes catholiques, dont la Conférence des évêques suisses, ndlr) mais là, lorsque c'est mis en images (...) et bien c'est encore plus parlant et ça choque", souligne Frédéric Favre.
>> Relire l'enquête de l'émission Mise au point : Prêtres pédophiles, abus sexuels: les secrets de l'Abbaye de Saint-Maurice
L'enquête de l'émission Mise au point apporte de nombreux nouveaux éléments, en premier lieu le fait que neuf prêtres sont impliqués dans des affaires. On apprend aussi que Roland Jaquenoud, prieur et remplaçant de Jean Scarcella à la tête de l'Abbaye depuis septembre 2023 (ce dernier a décidé de suspendre sa charge de père-abbé car il est mis en cause dans l'enquête de l'Université de Zurich), est lui aussi au coeur d'une affaire d'abus sexuels.
Responsable du Département de la Sécurité, des Institutions et du Sport, Frédéric Favre explique que l'Etat du Valais n'a pas de droit de regard sur ce genre de nomination. "Il n'y a pas de consultation sur ce qui est en lien avec les églises. C'est la séparation des pouvoirs", résume-t-il.
Le conseiller d'Etat juge toutefois le dégât d'image "catastrophique". "Mais ce n'est pas la chose la plus importante. La chose la plus importante c'est que les choses émergent. Aujourd'hui, la honte n'est plus dans le camp des victimes, donc au moins les choses peuvent ressortir", ajoute-t-il.
"Des structures qui ont eu tendance à étouffer les choses"
Face à ce genre de révélations, l'Etat semble parfois impuissant. Mais alors, y a-t-il quand même une quelconque marge de manoeuvre pour le politique sur ce type de dossier?
"On a une responsabilité dans ce qui est connu aujourd'hui. Pendant des années, on nous donnait l'impression que c'était des cas isolés. On avait cette situation dans des clubs sportifs, dans les milieux de la famille... Mais là, on voit qu'il y a eu des structures qui ont eu tendance à vouloir étouffer les choses. Et là-dessus, on doit s'assurer que ce ne sera plus le cas", juge Frédéric Favre.
Et de citer l'exemple du diocèse de Sion, avec lequel l'Etat du Valais a tout récemment convenu d'une charte qui demande que chaque agent pastoral présente un extrait de son casier judiciaire lors de son engagement et qu'il suive un cours de prévention.
>> Lire à ce propos : Charte contre les abus sexuels établie entre le Canton et le diocèse de Sion
Problème, l'Abbaye de Saint-Maurice ne dépend pas du diocèse de Sion mais directement du Vatican. Pour Frédéric Favre, les conditions sont donc différentes mais des solutions existent sans doute, notamment car plusieurs cas dénoncés à Saint-Maurice concernent le lycée-collège et l'ancien internat.
"On a une différenciation à faire puisque, au niveau du diocèse de Sion, il y a un travail général qui est subventionné par le canton du Valais. C'est dans ce cadre-là que nous avons signé cette charte. Ici, on est dans le cadre de l'Eglise, mais également de l'enseignement. Donc, là-dessus, c'est le département en charge de l'enseignement qui va prendre les mesures adéquates, qui ne seront peut-être pas forcément les mêmes", détaille-t-il.
>> Lire aussi : Le père-abbé par intérim de l'Abbaye de Saint-Maurice suspendu de ses fonctions de professeur
Des enquêtes traitées "sur pied d'égalité"
Le reportage de Mise au point décrit aussi une justice valaisanne souvent très discrète sur des affaires touchant l'Abbaye, certaines enquêtes judiciaires étant même ralenties voire bâclées par mesure de protection, un juge allant jusqu'à ordonner aux enquêteurs de limiter leurs recherches.
Pour Frédéric Favre, il n'est pas possible "de cautionner" de telles pratiques, mais le conseiller d'Etat reste toutefois prudent. "On n'a pas tous les éléments et il appartiendra au Conseil de la magistrature de voir s'il doit saisir et s'il pense qu'il y a eu des dysfonctionnements dans le traitement de la justice", explique-t-il.
Quant à la police cantonale, Frédéric Favre nie tout traitement de faveur et assure "que toutes les informations" sont examinées de la même façon, peu importe d'où elles viennent. "Le commandant de la police cantonale m'a donné comme information à ce jour que toutes les enquêtes étaient traitées sur un pied d'égalité (...) une infraction au code pénal est traitée avec rigueur dans tous les cas", conclut-il.
>> Revoir l'enquête de Mise au point:
Propos recueillis par Valérie Hauert
Adaptation web: Tristan Hertig