"J’ai été victime d’attouchements à St-Maurice. J’ai dû apprendre à vivre avec, sans en parler à personne": c'est par ces mots que Béatrice Duroux a écrit à Mise au Point. Cette Valaisanne de bientôt 72 ans a pris contact à la suite de l’émission. Elle souhaite témoigner pour briser la loi du silence.
"Je suis folle de rage face à l’Eglise. Le reportage de dimanche a été une plongée dans mes souvenirs, une plongée dans un passé douloureux", a-t-elle confié. Comme Béatrice, des dizaines de victimes ont décidé de prendre la parole. Certaines personnes ont dénoncé des prêtres déjà connus pour des abus sexuels, mais d'autres ont signalé plusieurs prêtres qui ne font pas partie de la liste de neuf personnes établie par Mise au Point.
"Il n'a jamais pu tourner la page"
Parmi les victimes, il y a Pascal*. Son histoire ressemble à beaucoup d’autres témoignages. Il a été victime d’un chanoine de St-Maurice en 1968. Lors d’un camp de réflexion organisé par les religieux, il est agressé sexuellement à plusieurs reprises. "Je ne l'ai jamais dit à mes parents, j’avais honte, j'avais 7 ans à l’époque. Je me sentais sali, honteux". Pascal ne connaît pas le nom du prêtre. "Je ne me souviens plus de son visage, ni de son nom. Mais je me souviens de ses poils pubiens. Ils étaient noir foncé".
Catherine Domahidy et son frère ont eux aussi été victimes de chanoines de St-Maurice. Cette grand-maman a vécu une partie de sa vie à Aigle. Sa famille était très catholique. Elle se souvient des nombreuses visites du prêtre de la paroisse à la maison, membre de l'Abbaye. "Il me prenait sur les genoux, il me tripotait. Il prenait aussi des photos de moi dans ma chambre", explique-t-elle, ajoutant avoir réussi à grandir avec ces souvenirs sans trop d’impact sur sa vie.
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Pour son frère, qui était à l’internat de St-Maurice dans les années 1950, la situation a été plus difficile. Catherine affirme qu'il a été également abusé par un prêtre. Contrairement à elle, il a été marqué toute sa vie. Catherine regrette: "Mon frère est décédé dernièrement, il n'a jamais pu tourner la page. Toute sa vie sentimentale et affective a été déréglée".
Aucune plainte enregistrée
Patricia Beauverd n’a pas subi d’agressions sexuelles. C’est son fils, Jérôme Menétrey, qui a été victime d’un chanoine. C’était en 1997. Des agressions qui, là encore, ont bouleversé la vie de cet enfant. Quelques années plus tard, il tombe dans la toxicomanie et en meurt. Sa maman est en colère contre l'Eglise et la justice. "J’ai découvert qu'un chanoine échangeait des mots d'amour avec mon fils, des rendez-vous le soir. Jérôme avait 12 ans. Il a été abusé, j’en suis sûre".
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Quand elle découvre la situation, elle prend sa voiture et va récupérer le soir même son fils à l'internat. Elle menace de faire scandale, mais les chanoines sur place la dissuadent de porter l’affaire devant les médias. Un mois plus tard, la police vient chez elle pour discuter des faits. "Nous étions plusieurs adultes et mon fils n’a pas trop parlé. Il n'y avait pas de psychologue ou d’expert. Personne n'a vraiment osé demander à mon fils s’il avait subi des attouchements". Après l’entrevue, elle affirme n’avoir pas reçu de procès-verbal. Patricia pensait sa plainte enregistrée, mais des années plus tard, elle a appris qu'aucune plainte ne l'avait été.
Ce que Patricia ne sait pas, c'est que le chanoine avait déjà reçu un avertissement d’un juge d'instruction trois ans plus tôt pour une affaire de pédocriminalité. Le chanoine sera finalement condamné pour avoir abusé d'enfants à l’étranger en 1998. Selon le jugement de l’époque, aucune victime n’était signalée en Suisse. Il sera condamné à 15 mois de prison avec sursis. Dans le jugement, on peut lire: "L’accusé a su résister aux tentations dans l’exercice de son ministère. Il n'a tenté que de timides approches avec deux de ses élèves. Sa retenue paraît avoir été dictée par la crainte du scandale". En effet, l’affaire est restée peu médiatisée. Officiellement, il a toujours été précisé qu'aucune victime n’était valaisanne.
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"C’était connu"
Les témoignages les plus récents datent des années 2000. Il y a toutefois également des témoignages beaucoup plus vieux. Paul* se présente comme un très vieux monsieur. Il était élève au collège de St-Maurice de 1942 à 1946. Il explique: "Les prêtres commettaient des actes de pédophilie avec certains élèves. C’était connu que pour avoir de bonnes notes, il fallait aller en chambre chez les professeurs. On disait: 'on va faire ficelle'".
Mise au Point a pu également recueillir le témoignage de Jacques*. Victime d'un chanoine à l'âge de 10 ans alors qu'il participait à un camp d'été en dessus de Martigny, le sexagénaire confie: "Un après-midi, au moment de la sieste, un chanoine est venu me demander s'il pouvait faire des 'photos artistiques' avec moi. J’ai accepté. Sur le moment, j’étais plutôt flatté. Nous sommes allés dans la forêt. J’ai dû me mettre à nu et prendre la pose 'comme un ange'".
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Jacques ne se souvient plus du nom du prêtre. Il correspond toutefois à la description physique et à l’âge du chanoine Marc*. Ce religieux était connu pour avoir toujours sur lui un petit appareil photo. Ancien responsable de l'internat de St-Maurice, il a été arrêté à deux reprises pour avoir stocké et partagé des photos pédopornographiques. Il a notamment été arrêté lors de l'opération Faucon, une vaste opération internationale contre un réseau d’échange de photos et de vidéo pédopornographiques.
Pour Jacques, il reste une question sans réponse: est-ce que des photos de lui ou d’autres victimes valaisannes se sont retrouvées échangées, téléchargées sur des sites de partage de photos internationaux? Malheureusement, le chanoine Marc étant décédé en 2005, Jacques n'aura jamais cette réponse.
François Ruchti/vic