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Le mécène et promoteur valaisan Léonard Gianadda est décédé à 88 ans

Le Valaisan Léonard Gianadda est mort dimanche matin à l'âge de 88 ans. Hommage.
Le Valaisan Léonard Gianadda est mort dimanche matin à l'âge de 88 ans. Hommage. / 19h30 / 2 min. / le 3 décembre 2023
Léonard Gianadda, entrepreneur et mécène culturel à la tête de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny (VS), s'est éteint à l'âge de 88 ans après une vie, mille vies - aurait-il dit - aussi palpitantes les unes que les autres.

Né le 23 août 1935 à Martigny, il était un "lion ascendant lion" comme il s'amusait à le préciser sur le site internet de sa fondation. D'aucuns le décrivaient aussi comme séducteur, généreux, convaincant, travailleur, obstiné, sanguin, prétentieux, magicien, mégalo, colérique, pudique.... Quoi qu'il en soit, c'était un homme avec un immense appétit de vivre.

Soigné pour un cancer des os depuis six mois, Léonard Gianadda avait été malencontreusement renversé par son ami Christian Constantin à la fin octobre et avait dû être hospitalisé pour une blessure à la jambe. Il s'était encore rendu début novembre à une cérémonie en son honneur mise sur pied par la ville de Sion.

Mi-octobre, le Valaisan avait confié à la RTS que son état de forme "se déglinguait assez rapidement" après avoir eu une santé "incroyable" durant 88 ans. "Je suis serein, je brûle la chandelle par les deux bouts et je profite de tout", avait-il ajouté dans l'émission Helvetica.

>> Revoir l'interview de Léonard Gianadda dans Helvetica :

#Helvetica: Léonard Gianadda
#Helvetica: Léonard Gianadda / #Helvetica / 21 min. / le 14 octobre 2023

>> Lire aussi : Léonard Gianadda: Martigny, "seule ville suisse où tous les feux rouges sont remplacés par des oeuvres d'art"

Un entrepreneur amoureux des arts

"Je préfère faire qu'expliquer" était son credo. Et il est vrai que faire, entreprendre, agir, créer des liens, des ponts, faire circuler, était sa marque de fabrique. Ce n'est pas un hasard s'il a doté les ronds-points de Martigny d'une vingtaine d'oeuvres d'art, pour que cela ne s'arrête jamais et que cela tourne toujours.

Il découvre son amour pour l'art lors d'un premier voyage en famille en Italie en 1950. Il a 15 ans. Il s'intéresse ensuite à la photographie et deviendra le premier correspondant reporter-photographe en Valais pour la RTS de l'époque, en 1957. C'est par la photographie qu'il découvre l'archéologie, l'Egypte notamment. Il fera aussi un voyage de quatre mois en VW Coccinelle sur le pourtour de la Méditerranée avec son frère Pierre Gianadda, dont la mort précoce et inattendue en 1976 va donner un coup de dé au destin de Léonard le lion.

Le destin de Léonard Gianadda remonte à son grand-père Battista, un émigré italien venu du Piémont. Comme dans une fable, cet homme arrive à Martigny en 1889, sans rien. Deux générations plus tard, son petit-fils, ingénieur de formation, s'enrichit vite et copieusement en bâtissant des ponts et des blocs d'immeubles qui ont fait grincer les dents de plus d'un.

Fondation Pierre Gianadda

En 1976, alors que l'entrepreneur souhaite édifier une tour à Martigny, les travaux mettent à jour les vestiges d'un temple gallo-romain. Le permis de construire arrive finalement, mais pour celui qui aime tant l'archéologie, impossible de construire de l'immobilier sur ce terrain. C'est presque au même moment que Pierre, le frère adoré avec qui il partage ce goût de l'archéologie, se tue dans un accident d'avion. Léonard est brisé, mais il se relève et décide de créer une fondation culturelle à la mémoire de son frère.

Inaugurée en 1978, la Fondation Pierre Gianadda est constituée non seulement d'un espace d'exposition temporaire qui accueille également une saison musicale, mais aussi d'un musée gallo-romain et d'un autre dédié à l'automobile. Par la suite, son fondateur ajoutera à l'extérieur un parc à sculptures signées par les plus grands artistes du XXe siècle.

>> Revoir une archive de 1977 au moment de l'ouverture de la fondation :

Le projet de musée gallo-romain Gianadda à Martigny. [RTS]
Un pari risqué / Un jour une heure / 2 min. / le 24 février 1977

Léonard Gianadda conçoit les plans et assure intégralement le financement de la fondation. Lors du discours du 1er août qu'il a eu l'occasion de faire en 2023 à Salvan (VS), dont il était bourgeois d'honneur, il est revenu sur la création de sa fondation: "J'ai pris beaucoup de risques pour la réaliser. Il y a plus de quarante ans, trois millions, c'était beaucoup d'argent. Il fallait être un peu Italien pour avoir cette audace."

Aujourd'hui encore, la Fondation Gianadda est soutenue à 98% par le privé et à 2% par l'Etat. Et l'on sait que son fondateur a légué pratiquement toute sa fortune à l'institution.

Une première exposition qui fait scandale

Mais tout aurait pu basculer autrement. La première exposition inaugurée dans les lieux en 1979 provoque un scandale. Intitulée assez pompeusement - le Valaisan lui-même a avoué par la suite que c'était un peu prétentieux – "Cinq siècles de peinture", l'exposition présente, parmi d'autres toiles, des tableaux inconnus de Dürer, Rembrandt et Rubens. Mais l'origine frauduleuse de certaines des peintures accrochées, qui s'avèrent être des faux, est vite découverte. Le responsable d'exposition avait bâclé son travail et Léonard Gianadda, encore novice dans le milieu de l'art, s'était laissé abuser.

Mais le lion sait toujours rebondir. Au journaliste André Kuenzi qui publia une critique acerbe sur cette exposition dans le journal 24 Heures, il fit la réponse suivante: "Si vous savez mieux que moi que ces Rembrandt sont des faux, et bien venez chez moi monter des expositions dignes de ce nom". André Kuenzi accepta ce pari fou et le succès fut au rendez-vous lors des prochaines expositions-blockbusters montées à Martigny.

Succès et renommée

Avec le recul, la liste des artistes exposés donne le vertige: cent tableaux de Van Gogh, cent autres de Cézanne, des dizaines de Picasso, Klee, Goya, Rodin, Giacometti, Schiele, Lautrec, Moore, Modigliani, Claudel, Chagall, Braque, Degas, de Staël, Manet, Dufy, Miró, Gauguin, Bonnard, Kandinsky, Van Dongen, Morisot, Signac, Anker, Balthus, Erni, Renoir, Matisse, Zao Wou-Ki. En 2000, l'exposition Van Gogh bat tous les records de fréquentation avec 500'000 visiteurs. Et le 19 décembre 2018, la fondation fêtait son dix millionième visiteur.

La Fondation Gianadda a permis à la ville de Martigny de se placer sur la carte de l'art mondial. Et les retombées d'un tel mécénat culturel ne se font pas attendre. Les honneurs pleuvent: Léonard Gianadda devient chevalier, officier, commandeur de la Légion d'honneur. On le retrouve aussi comme membre de la Commission des acquisitions du Musée d'Orsay à Paris de 2004 à 2010, administrateur de la Phillips Collection à Washington de 2005 à 2014, membre de la Commission des acquisitions du Musée Rodin de Paris de 2006 à 2012, commandeur de l'Ordre des arts et des lettres en 2007. Avec le succès et la renommée, l'homme n'a plus besoin d'aller vers les autres, on vient vers lui. Comme la Tate de Londres pour l'exposition Turner il y a peu.

L'après-Gianadda

On a tout dit de cette fondation Gianadda et on l'a aussi beaucoup critiquée. Mais c'est un endroit à nul autre pareil qui ressemble à son créateur: monolithique et activé en permanence.

Outre les grands noms de la peinture et de la sculpture, Léonard Gianadda a toujours gardé le regard aussi tourné vers des artistes vivants, un peu moins connus, qui bénéficient de l'aura de la fondation. De même, il n'a jamais oublié les gens les moins bien nantis. Avec sa Fondation à but social Annette et Léonard Gianadda créée en 2009, il a construit et mis à disposition 169 logements à prix modérés pour revenus modestes.

Mais derrière son aura d'entrepreneur et de mécène culturel, Léonard Gianadda avait aussi ses failles et ses regrets. Lors d'une interview récente, il disait à propos de ses fils: "Je ne les ai pas vus grandir, ils ne m'ont pas vu vieillir".

Alors à quoi ressemblera l'après-Léonard Gianadda pour la fondation? On sait que l'exposition d'été de 2024 sera dédiée à Cézanne et Renoir. Encore un coup fomenté grâce à une recette de Léonard qui n'appartenait qu'à lui. Pour le reste, on n'en sait pas plus, mais on sait qu'il avait tout prévu.

Florence Grivel/aq

>> Voir mardi à 21h20 sur RTS 2 le documentaire "Faire de sa vie quelque chose de grand", qui retrace le parcours du mécène

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Nombreux hommages

"Le Valais perd un grand homme!", c'est par ces mots que l'Etat du Valais salue la mémoire et l'oeuvre de Léonard Gianadda décédé dimanche matin. Dans l'après-midi, les réactions à la disparition du mécène se sont succédé.

Léonard Gianadda "a inscrit sa trajectoire au cœur des arts", écrit l'Etat du Valais sur le réseau social X. "Il laisse à sa ville, à son canton et à son pays un énorme héritage avec notamment la création de la Fondation Gianadda".

"C'était une figure marquante qui a façonné Martigny et nous a fascinés", a réagi auprès de Keystone-ATS la présidente de la ville Anne-Laure Couchepin. Léonard Gianadda était une "personnalité extraordinaire, un visionnaire, un leader", ajoute-t-elle. Différents hommages lui seront rendus. Les obsèques sont prévues jeudi.

>> Voir aussi le 19h30 :

Décès de Léonard Gianadda: les personnalités saluent sa mémoire
Décès de Léonard Gianadda: les personnalités saluent sa mémoire / 19h30 / 2 min. / le 3 décembre 2023

"C'est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Léonard Gianadda, un ami cher du FC Sion", partage aussi le club sur le réseau social X. "En ces moments difficiles, nous souhaitons exprimer nos condoléances les plus sincères à la famille et aux proches de Léonard Gianadda".

"Merci d’avoir été si inspirant"

"J’apprends avec émotion le décès de Léonard Gianadda. Photographe, mécène, collectionneur, passionné d’art, il aura beaucoup oeuvré à la promotion de la culture. Avec mes condoléances à sa famille et à ses proches", a de son côté écrit Alain Berset, président de la Confédération et ministre de la culture.

"Adieu mon cher Léonard! Visionnaire et généreux, tu as fait de ta Fondation Gianadda à Martigny un haut lieu de Culture avec la peinture bien sûr, mais aussi la Musique que tu adorais", écrit le directeur artistique de l'Orchestre de chambre de Lausanne (OCL) Renaud Capuçon. "Merci d’avoir été si inspirant! Tu vas me manquer", ajoute encore le violoniste.