Les journalistes suisses et italiens se sont pressés jeudi matin devant les bâtiments du Ministère public valaisan qui a convoqué la presse pour faire le point sur le lourd dossier Luca. Une affaire qui a pris une tournure internationale ces derniers mois, après que les médias italiens se sont intéressés aux détails troublants de l'accident - imputé par la justice au chien de la famille - qui a gravement handicapé le petit Luca en février 2002 à Veysonnaz.
En cette journée spéciale, le garçon désormais tétraplégique et aveugle est lui-même venu à Sion entouré de ses proches. "Les personnes qui ont provoqué l'incident ont continué à vivre sans être inquiétées", a-t-il déclaré, précisant poursuivre son combat "pour que la vérité éclate". Mais sa version des faits a attendu une deuxième conférence de presse, car Luca et sa famille n'ont pas été conviés au rendez-vous du Ministère public valaisan.
Le dossier n'est pas clos, selon la justice
Critiqué pour sa lenteur, le Ministère public a d'emblée précisé que l'affaire n'était pas sur le point de trouver une issue en raison du délai de prescription. Ce dernier court en effet jusqu'à 2019, a expliqué Nicolas Dubuis, procureur en charge de l'affaire depuis ses débuts, en 2002.
Mais l'annonce surprise vient du fait que la justice a rouvert "implicitement" le dossier depuis le 15 novembre 2010, soit la date à laquelle l'expertise d'un dessin réalisé par le petit frère de Luca, Marco, a été ordonnée. Ainsi, quatre experts ont été proposés aux parents de Luca. S'ils acceptent cette équipe composée d'une pédopsychiatre, d'un psychologue tessinois et de deux psychologues italiens, le rapport devrait être rendu cet été.
Erreurs de communication
Le fait que le dossier est considéré comme ouvert par le Ministère public en a étonné plus d'un. Des questions sur des erreurs de communication on ainsi été posées lors du point presse. Et dehors, Me Sébastien Fanti - un proche de la Fondation Luca - ne s'est d'ailleurs pas dit convaincu par ces explications: "Il faut une décision formelle de réouverture du dossier."
Après l'éclaircissement sur l'ouverture tacite du dossier, Nicolas Dubuis a aussi plaidé pour "ne pas reprocher à la justice valaisanne d'avoir bâclé son travail, étant donné que le dossier est constitué de 2300 pages". "La famille a qui plus est été associée à chacune des décisions. Et aucun recours n'a jamais été déposé", a défendu le magistrat dans cette opération pour redorer le blason du Ministère public.
Mais si l'expertise du dessin de Marco (réalisé à l'école en 2005 et soumis en 2010) démontre qu'il faut tenir compte de la présence d'agresseurs, un juge des mineurs se saisira de l'affaire, puisqu'il s'agirait d'adolescents. Toutefois, le Ministère public a donné l'impression d'être loin de croire à ce scénario.
Qui a provoqué les blessures?
L'enquête pour établir la présence de tierces personnes lors de l'incident n'a rien donné, a encore rappelé le Ministère public. Un plan des horaires de personnes potentiellement impliquées a été réalisé. Mais "les contrôles téléphoniques, les attestations des écoles et encore d'autres éléments ont permis d'exclure leur présence" le jour du drame à Veysonnaz, selon Nicolas Dubuis, qui concède que "le seul nouvel élément est le dessin de Marco".
Le procureur général, Jean-Pierre Gross, a ensuite défendu le travail de Nicolas Dubuis, alors que la famille de Luca demande sa récusation. "Il n'a commis aucune erreur grave et, comme il connaît le dossier sur le bout des doigts, il n'y aucune raison qu'il soit dessaisi".
Le professeur Patrice Mangin, auteur du principal document ayant servi à la suspension du dossier en 2004, a quant à lui démenti que les lésions de Luca (griffures sur les photos de l'époque) ont été provoquées par des branchages éventuellement brandis par des agresseurs. Par contre, "le chien était capable de ses dresser sur ses pattes arrières et a même mordu un policier sur place après l'incident", a fait savoir le spécialiste. Même Luca avait été mordu par le passé, a-t-il encore précisé.
"On n'a jamais exclu la présence d'un tiers", concède le professeur Mangin. "Mais aucune autre trace d'ADN que celle de Luca n'a été trouvée. En tous les cas, il est impossible que les blessures aient été provoquées par flagellation", assure-t-il.
Alors le chien a-t-il essayé de défendre Luca et provoqué des blessures de la sorte? "On aurait trouvé des traces de sang d'une tierce personne si tel avait été cas", a répondu le spécialiste. Ce dernier a ensuite écarté plusieurs éléments accréditant la thèse d'une agression à caractère sexuel. Il a par exemple démenti que du slime vert (pâte gluante) a été découvert sur les fesses de Luca par les équipes médicales.
"Ils m'ont déshabillé et frappé"
"Je ne comprends pas qu'après dix ans on ne me croie toujours pas sur le déroulement de l'agression". C'est par ces simples mots que Luca s'est exprimé par la suite devant les médias dans un café situé à une centaine de mètres de la première conférence de presse.
Le jeune homme, devenu tétraplégique et aveugle après l'accident, a une nouvelle fois assuré qu'il a subi une agression et que le chien Rocky n'est en rien responsable. Des déclarations tenues dans une salle comble dans laquelle les journalistes avaient de la peine à s'entasser, signe que l'emballement médiatique n'est pas près de retomber.
"Je jouais avec mon frère. Des gens sont arrivés, m'ont déshabillé et m'ont frappé. Ce sont bel et bien des gens qui m'ont fait ça", a encore expliqué Luca.
Luca n'a "jamais été entendu par la justice"
La mère de Luca a pour sa part fustigé une justice qui continue de maintenir sa position et assure qu'il y a toujours des traces ADN inconnues, soit autres que celles du chien qui ont été retrouvées. "La justice ne veut pas trouver la vérité!", a-t-elle condamné.
"Tout a été fait pour perdre du temps. Pourquoi Luca n'est-t-il pas écouté. Il n'a jamais été entendu par la justice?", a encore expliqué Tina, la mère de Luca, qui se demande toujours si l'on essaie de "cacher quelqu'un ou un système". "Les procureurs restent derrière leurs chaises. Le juge Dubuis n'a pris que les morceaux qu'il a voulu des rapports", a-t-elle encore déploré.
Quant à la réouverture du dossier auparavant annoncée par le Ministère public, la mère tranche: "La justice se cache derrière la réouverture du dossier, mais je suis persuadée qu'elle n'est pas prête à collaborer. Si elle voulait vraiment collaborer, pourquoi ne nous donne-t-elle pas les habits que Luca portait pour qu'on puisse les faire analyser en Italie?"
Pour conclure, à propos de la désignation d'experts pour analyser le dessin de Marco, ce qui sera en principe la prochaine étape de cette saga judiciaire, Tina explique attendre depuis 17 mois. "Bien que nous soyons heureux de cette décision, pourquoi la proposition survient-elle si tard?" Le 22 février prochain, l'incident - ou agression selon la thèse choisie - aura eu lieu il y a déjà 10 ans.
Jérôme Zimmermann, Sion/gax/olhor
Un drame qui n'en finit pas
Agé de 7 ans, le petit Luca avait été retrouvé partiellement dévêtu, gisant dans la neige en état d'hypothermie à Veysonnaz (VS) le 7 février 2002. Il était en promenade avec son frère de trois ans son cadet et un berger allemand de six mois. Suite au drame, Luca est resté tétraplégique et aveugle. Il vit actuellement en Italie avec sa famille.
Deux ans après l'agression, en mars 2004, l'instruction avait conclu à la culpabilité du chien et classé l'affaire. L'an passé la famille a demandé la réouverture du dossier sur la base d'un dessin réalisé en 2005 dans le cadre de l'école par le frère de Luca. Le croquis montre Luca en train de se faire frapper par d'autres enfants.
Des experts doivent analyser cette nouvelle pièce versée au dossier. La famille du petit Luca a aussi récemment demandé le dessaisissement du procureur valaisan Nicolas Dubuis, qui n'a jusqu'ici jamais dévié de ses conclusions initiales incriminant le chien.
Une ministre "bouleversée"
Vendredi dernier, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a reçu l'ambassadeur d'Italie en Suisse Giuseppe Deodato pour évoquer le cas.
La cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP) s'est déclarée "bouleversée" par le sort de l'enfant.
Elle a expliqué au responsable italien que l'affaire n'était pas de son ressort, lui assurant toutefois que cette affaire était traitée avec la même attention en Suisse qu'en Italie.
Simonetta Sommaruga et Giuseppe Deodato, qui a sollicité cette entretien, "espèrent une bonne solution pour toutes les parties impliquées", ont-ils annoncé.