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Maurice Tornay avait un oeil sur les arrangements fiscaux de Dominique Giroud à Zoug

VS - Affaire Giroud: les documents montrent le degré de connaissance que possédait Maurice Tornay
Affaire Giroud: les documents montrent le degré de connaissance que possédait Maurice Tornay / 19h30 / 3 min. / le 24 mars 2014
Maurice Tornay a toujours affirmé avoir une connaissance partielle de l’affaire Giroud et des activités du groupe Giroud hors du Valais. Or, selon des documents que la RTS a pu se procurer, le conseiller d’Etat valaisan en sait bien davantage que ce qu’il dit sur les activités du Groupe Giroud en Suisse.

Que savait Maurice Tornay, l’actuel président du Conseil d’Etat valaisan et ancien réviseur des comptes de Giroud Vins SA, des activités du marchand de vin Dominique Giroud à Zoug? Le 17 janvier 2014 devant la presse, le démocrate-chrétien déclarait ne pas "avoir de vision d'ensemble de toutes les sociétés". "Je ne suis pas réviseur d’une société qui est domiciliée dans un autre canton que celui du Valais, par exemple à Zoug. J’ai lu un jour dans les médias que tout avait passé par elle".

Torcularia Holding AG, c’est le nom de cette fameuse société basée à Zoug. Avec la société Weinhandel Edelweiss AG, désormais en liquidation, elles ont été dès 2003 le pôle zougois du Groupe Giroud. Maurice Tornay ne révisait pas leurs comptes, mais a compris qu’elles étaient vouées à l'optimisation fiscale. C’est ce que la RTS est en mesure de révéler sur la base de documents issus de l’enquête fiscale fédérale diligentée contre Dominique Giroud et Giroud Vins SA, qui sont soupçonnés de graves infractions fiscales. Des infractions qui porteraient sur plus de 10 millions francs.

Echange de vues et optimisation fiscale

Selon ces documents, en avril 2005, Dominique Giroud consulte Maurice Tornay. Le 14, celui-ci lui répond par e-mail: "Dominique, contrairement à Torcularia qui ne devrait pas payer d’impôts, Weinhandel Edelweiss AG paie des impôts. Il faut donc, même si je pense que cela devrait déjà avoir été fait, dégager le plus de charges possibles chez Weinhandel Edelweiss AG au profit de Torcularia AG" (Maurice Tornay à Dominique Giroud, 14 avril 2005).

Expert fiscal diplômé, Maurice Tornay précise dans son mail que ces remarques "ne valent en aucun cas comme un conseil intégral". Son attitude est légale et il n’a pas été inquiété par l’enquête de la Confédération. Il ne peut cependant pas affirmer aujourd’hui que ces schémas d’optimisation fiscale lui étaient inconnus. Des schémas qui permettent à son client Dominique Giroud de réaliser une économie d’impôts grâce à une fiscalité zougoise plus douce qu’en Valais.               

Le mail de Maurice Tornay à Dominique Giroud a un ton plutôt familier. Il mentionne un troisième homme, l’avocat et ancien président du Conseil national, Peter Hess. C’est lui qui gère Torcularia Holding AG et Weinhandel Edelweiss AG, les sociétés zougoises du groupe Giroud.

Dans le mail, Maurice Tornay met en garde Dominique Giroud et lui précise que le fisc pourrait s’intéresser de près aux activités de ses sociétés. Il écrit:

"Les prix appliqués entre sociétés actionnaires sont examinées avec attention par le fisc et il me paraît évident que le Docteur Hess, habitué à ces problèmes éventuels de distribution dissimulées de bénéfices à l’actionnaire aura pris les dispositions les plus opportunes (…) Amitié et cordiales salutations."

Là encore, ces propos montrent que Maurice Tornay a bien une vision des activités suisses de Dominique Giroud.

Les deux casquettes de Maurice Tornay

Le futur conseiller d’Etat est bien renseigné, car il porte alors deux casquettes pour le compte de son client Dominique Giroud: il est à la fois réviseur et mandataire fiscal.

En effet, en 1989, Maurice Tornay fonde la Fiduciaire de l’Entremont. Jusqu’à son élection au Conseil d’Etat en 2009, il dirige cette affaire familiale avec son frère. Sa fiduciaire tient les comptes de la raison individuelle de Dominique Giroud jusqu’en 2002. Puis, dès 2003, elle remplit la déclaration d’impôts des époux Giroud et celle de Giroud Vins SA. A ce titre, elle remplit un rôle de mandataire fiscal.

En parallèle, Maurice Tornay crée en 1998 une société de révision. Il s’agit d’Alpes Audit qu’il préside jusqu’en 2009 et dont il détient, encore aujourd’hui, 25% des actions. Sous sa présidence, Alpes Audit révise les comptes de Giroud Vins SA et d’autres sociétés de Dominique Giroud comme la Cave des Combins, Moren, Albert Biollaz ou Wine Universe.

Le 31 août 2011, Alpes Audit est perquisitionnée par les enquêteurs de la Confédération dans le cadre de l’enquête fiscale diligentée contre Dominique Giroud et Giroud Vins SA. Les enquêteurs ne trouvent alors pas les documents de révision de Giroud Vins SA. Selon un procès-verbal, "tous les documents se trouv[ai]ent chez la Fiduciaire de l’Entremont". Ce qui se révèle exact après la perquisition de la fiduciaire par les enquêteurs fédéraux le même jour.

Yves Steiner / Jean-Daniel Bohnenblust

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Un mandat de réviseur "à la limite"

Mandataire fiscal et mandat d’audit. Le mélange des genres étonne. Daniel Rochat, réviseur agréé audite des sociétés suisses et internationales depuis plusieurs années. Il ne se prononce pas sur cette affaire, mais rappelle les règles élémentaires auxquelles doivent se plier les réviseurs. "Nous devons garantir l’indépendance de notre travail et pour cela, le Code des obligations exige des mesures, par exemple d’éviter d’entretenir des relations d’affaires de proximité avec la société auditée ou son actionnaire principal."

Or, lors de sa conférence de presse du 17 janvier 2014, Maurice Tornay disait avoir reçu un financement de la part de Dominique Giroud pour sa campagne victorieuse au Conseil d’Etat en 2008-2009.

Dans la pratique, Daniel Rochat remarque encore que "depuis une décennie, les conseils d’administration donnent des mandats à des sociétés différentes pour les aspects fiscaux, juridiques et d’audit. Ce, afin de garantir l’indépendance dans les faits, mais aussi dans les apparences". Le conseil d’administration de Giroud Vins SA n’a pas agi en ce sens, pas plus que son organe de révision.

Ce point est admis par un des administrateurs de la Fiduciaire de l’Entremont, comme a pu le lire la RTS. "A l’époque, en 2007-2008, le nouveau droit n’était pas encore en vigueur donc nous étions indépendants. Il y a peut-être eu une année où ce problème pouvait se poser. Nous avons ensuite arrêté de faire la révision (Alpes Audit) car le fait de faire aussi la déclaration d’impôts de Giroud Vins SA était limite" (sic),  a-t-il déclaré aux enquêteurs fédéraux en audition le 23 janvier 2013 à Sion.

Par "nouveau droit", on entend une modification du code des obligations, entrée en vigueur le 1 janvier 2008, qui prévoit un renforcement de l'indépendance des réviseurs.

Dans son rapport, l’enquêteur chargé des auditions commente les déclarations des administrateurs comme suit: "Nous remarquons encore que les rapports de révision de Giroud Vins SA, Caves des Combins SA, Moren SA, Vins Dufaux SA et Albert Biollaz SA sont envoyés à Me Hess par la Fiduciaire de l’Entremont SA et non par Alpes Audit SA. Certains actes de révision sont en outre "classés" avec des documents de la Fiduciaire de l’Entremont SA. Ceci démontre à l’évidence la perméabilité de ces deux sociétés."

Maurice Tornay ne commente pas

Contacté le vendredi 21 mars, Maurice Tornay n’a pas souhaité commenter les révélations de la RTS. Il a précisé attendre que l’enquête de la Commission de gestion du Grand Conseil valaisan, à laquelle il a exposé sa version des faits, soit rendue, avant de s’exprimer.

Maurice Tornay a également rappelé le fait que l’Administration fédérale des contributions lui avait confirmé, le 31 octobre 2013, qu’aucune procédure pénale n’était ouverte à son encontre, à quelque titre que ce soit.

"La confiance est rompue"

Interrogé par Rhône FM, le président du PLR valaisan Xavier Mottet a estimé mardi que "la confiance était rompue" avec Maurice Tornay.

"Maurice Tornay a minimisé ses connaissances et il a omis certains éléments extrêmement importants", a-t-il ajouté, dénonçant un non respect de la transparence promise.

Le conseiller d'Etat doit maintenant démontrer la preuve de sa bonne foi, a-t-il conclu.