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Tamoil, un trésor fiscal et un boulet environnemental

VS: La raffinerie de Tamoil peine encore à trouver un acheteur
VS: La raffinerie de Tamoil peine encore à trouver un acheteur / 19h30 / 2 min. / le 1 juillet 2015
A vendre en 2014, Tamoil proposait à ses acheteurs tous ses actifs parmi lesquels une raffinerie ultra-compétitive et un bonus fiscal de 381 millions de francs, selon un document confidentiel que la RTS a pu consulter.

Ce document avait été remis aux repreneurs potentiels par Tamoil lorsque son propriétaire Oilinvest avait décidé de quitter le marché suisse. Une stratégie mise en échec sur fond de crise libyenne et de pollution à Collombey (VS).

Raffinerie de Collombey bien notée

Vieille casserole promise aux ferrailleurs? Pas du tout. Selon le mémorandum d’avril 2014, la raffinerie de Collombey se place dans le peloton de tête des raffineries ouest-européennes en termes de technicité: capable de produire une large variété de produits raffinés, son index Nelson de complexité s’élève à 9.5, contre 6.4 seulement pour la raffinerie de Cressier (NE). Parmi d’autres atouts, sa flexibilité comme en attestent les 16 types de bruts différents ingérés depuis 2007. Tamoil a investi dans ces installations un milliard de francs ces 20 dernières années. A l’heure de cette vente intégrale, Tamoil faisait également valoir les 21% de parts de marché que lui assurent en grande partie ses 301 stations-service, ainsi que les 70'000 clients finaux livrés en mazout par ses filiales.

Surprise

Mais la deuxième surprise survient au chapitre comptable. L’acheteur de Tamoil pourrait déduire de ses futurs impôts 381 millions de francs d’ici 2020. Une belle "opportunité de récupération de valeur" précise le texte. Ce bonus fiscal s’explique par les pertes inscrites aux comptes par Tamoil ces dernières années et que le droit suisse permet de déduire du bénéfice imposable durant sept ans.

Atout, car ces pertes comptables - Tamoil n’est pas cotée en bourse et ne publie pas ses comptes - pourraient laisser place à des bénéfices, à en croire le business plan présenté dans le document aux acheteurs.

Rentable Tamoil? C’est l’avis de Roger Tamraz, l’homme qui avait fondé la compagnie avant de la vendre aux Libyens à la fin des années 1980. Toujours candidat aujourd’hui à son rachat, il se dit convaincu que si les bénéfices n’étaient pas "sucés en dehors de Suisse" vers Monaco, Chypre, Malte ou d’autres paradis fiscaux, le problème serait réglé.

Apre dispute

Cette vente semblait donc bien emmanchée, mais elle fut interrompue fin 2014. Une explication réside dans la difficulté d’identifier en Libye le véritable propriétaire d’Oilinvest, et par conséquent de Tamoil. Ces derniers mois, les actifs que l’Etat libyen détenait sous le régime Kadhafi via la Libyan Investment Authority (LIA) sont âprement disputés entre deux clans. D’un côté les partisans du gouvernement de Tripoli issu de la révolution et de l’autre celui de Benghazi, le gouvernement rival reconnu par la communauté internationale.

Pris dans ces conflits politiques et juridiques qui font rage, notamment devant la justice maltaise, les responsables en Suisse auraient du mal à s’y retrouver. On peut à cet égard constater qu’en février dernier, la société  Oilinvest Holding sise aux Antilles néerlandaises a été radiée du registre du commerce. Pour aller où? Mystère.

Poids des contraintes légales

Bien sûr, les surcapacités de raffinage en Europe pèsent dans les choix de la compagnie. Mais pèsent aussi les contraintes légales en Suisse, comme le renforcement des normes environnementales, notamment en matière de protection des eaux et des sols. Tamoil, malgré des recours répétés, a toujours fini par se conformer à l’essentiel des exigences de l’Etat du Valais comme en atteste le communiqué d’octobre 2013. Mais l’éventuelle dépollution de Collombey reste un risque financier pour tout acheteur.

Si Tamoil Suisse était vendue dans son intégralité comme prévu en 2014, le repreneur endosserait clairement cette responsabilité, explique Cédric Arnold, le chef du Service valaisan de la protection de l’environnement (SPE). En revanche, une vente séparée de la raffinerie (actif de Tamoil) ou du terrain où elle se trouve (propriété de sa filiale RSO Services) "nécessiterait une autorisation préalable du canton, qui serait dès lors en position d’exiger une dépollution". Ce scénario probable aujourd’hui ouvre la voie à des batailles juridiques ce qui complique sérieusement une évaluation claire des coûts d’exploitation de la raffinerie pour un repreneur.

Quels scénarios?

Les résultats des analyses des sols permettront d’ici fin août d’estimer le poids financier et les contours juridiques de ce boulet environnemental. Dès lors, plusieurs scénarios sont possibles pour la raffinerie de Collombey. Une reprise des activités par Tamoil; une reprise d’activité par un tiers, acheteur ou locataire; une vente de la raffinerie pour l’exportation. On en trouve beaucoup sur le marché d’occasion, avec des groupes spécialistes de la réimplantation comme Prios ou Lohrmann qui est mandatée pour replanter près de Calcutta, en Inde, l’ancienne raffinerie bavaroise d’Ingolstadt; autre option, la casse. Ou encore l’enlisement: quatre ans après sa fermeture, la raffinerie nord-italienne de Tamoil rouille toujours bien dressée sous le ciel de Crémone.

Natalie Bougeard et Pascal Jeannerat/mac

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Quel acheteur ?

Selon Roger Tamraz, la vente était à bout touchant fin 2014 entre Oilinvest et le groupe Varo, une joint-venture entre le négociant en pétrole Vitol et le fonds de placement Carlyle. Varo qui convoitait les stations-service et souhaitait acheter Collombey pour fermer sa propre raffinerie à Cressier, croit savoir l’homme d’affaires, lui-même candidat au rachat de Tamoil.

Selon Roger Tamraz, le deal aurait "capoté en raison du risque environnemental". Ni Tamoil ni Varo ne commente ces affirmations. Dès lors, difficile d’expliquer la volte-face de Tamoil, qui affirme depuis le mois de janvier ne plus vouloir vendre que sa raffinerie.

Tamoil ne paie pas

De nouvelles analyses de la pollution des sols vont être menées à Collombey. Grossièrement estimés à 70 millions de francs par l’Etat du Valais le 1er avril dernier, la mise hors service de la raffinerie, son démantèlement et le nettoyage pourront être chiffrés plus précisément d’ici fin août, lorsque les prélèvements exigés de Tamoil seront effectués.

Tamoil, qui collabore sur le terrain, précise le chef du SPE, mais qui n’en conteste pas moins sa décision du 1er avril. Les 20 millions de francs exigés par l’Etat du Valais en garantie pour les frais d’assainissement n’ont pas été versés, révèle-t-il. Et Tamoil a recouru devant la justice valaisanne via un bureau d’avocats genevois.