A trois heures du matin le 9 juin, les médecins de l'hôpital de Sion ont constaté le décès du bébé d'une patiente admise à 30 semaines de grossesse. En cause: un décollement placentaire mal diagnostiqué.
Une enquête pénale a été ouverte la semaine suivante contre le médecin-chef de garde cette nuit-là pour homicide par négligence.
Pour les parents, la mort de leur enfant résulte d'une série d'erreurs, à commencer par un transfert vers le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) qui n’a jamais eu lieu, mais qui aurait dû être ordonné.
Personnel médical alarmé
"J’ai décidé de ne pas la transférer. Nous sommes la première maternité non universitaire en Suisse. Par contre, ils n’ont pas augmenté les moyens en néonatologie. Ainsi, nous sommes confrontés à un taux de transferts beaucoup trop important", a expliqué le médecin-chef devant la procureure.
Le 8 juin au soir, il avait confirmé son diagnostic initial à l’équipe médicale de nuit - un épaississement bénin du placenta - avant de rentrer chez lui. Au cours de la soirée, le bébé, qui allait bien jusqu’ici, multiplie les signes de détresse. Les CTG, ces courbes qui mesurent l’activité cardiaque du fœtus, sont anormalement régulières. Le chef de clinique puis la sage-femme, alarmés, contactent leur responsable à son domicile: une démarche au caractère exceptionnel.
"Il n'est pas venu. Ils ont échangé des messages avec lui, ont envoyé des photos de l'échographie par Whatsapp", raconte Jihane Zaghbach, la mère hospitalisée.
Décision de ne pas intervenir
De ses six heures d'audition devant la procureure, il ressort que le médecin-chef a sciemment décidé de ne pas intervenir et qu'il en a informé la sage-femme.
Je me suis dit que je n’allais pas me déplacer car sinon je savais que je ne pouvais pas m’empêcher de faire une césarienne.
"Il était 23h00 le soir, il s’agissait d’une patiente que je ne connais pas à qui on doit annoncer que certainement son bébé aura des séquelles cérébrales graves. De toute façon, elle m’aurait demandé de tout faire pour sauver son enfant. Elle n’avait pas non plus la connaissance des conséquences d’une probable asphyxie. Pour ces raisons j’estime que je ne peux pas obtenir un consentement éclairé", a-t-il encore ajouté.
Très affecté par son erreur de diagnostic et par la procédure pénale, le médecin-chef s'est entretenu avec Mise au point, mais n’a pas souhaité apparaître dans le reportage.
Pour lui, l'affaire était ordinaire, pas dramatique. Il a rassuré le personnel par téléphone. Il était dans une erreur d'appréciation.
Placenta et échographies disparus
L’enquête du Ministère public valaisan devra déterminer les responsabilités dans cette affaire. A ce stade de l’instruction, la procureure n’a pas souhaité réagir dans l'émission. Il faut dire que sa tâche s’annonce ardue, car dans ce dossier, des pièces ont mystérieusement disparu: le placenta, mais également plusieurs échographies.
"Après la disparition du placenta, il semblerait que des images auraient également disparu du dossier. Même si je n'imagine pas d'intention là-derrière, il n'est pas certain que le Ministère public soit du même avis", laisse entendre le directeur juridique du Centre hospitalier du Valais romand (CHVR) dans un mail interne. Le médecin chef a affirmé à Mise au point qu'il n'avait joué aucun rôle dans cette disparition.
Sept jours avant de signaler le cas
"Le cas n'a pas été signalé ni au médecin cantonal, ni au Ministère public", déplore Didier Elsig, l'avocat des parents, Jihane et Antonio.
Or, les directives du médecin cantonal sont claires: un procureur doit être averti immédiatement en cas de doute sur l’origine du décès. Mais le cas de Jihane, impliquant un foetus, a suscité un vif débat au sein de l'hôpital et n'a été annoncé à la justice que huit jours plus tard.
Le directeur médical a lui-même souhaité que le cas soit annoncé à la justice au nom de la transparence, et malgré les résistances internes. Mais comme l’instruction est en cours, il reste plutôt évasif sur les faits, dans Mise au point.
Les résultats de l’enquête pénale seront connus au plus tôt au printemps 2017. L’expertise médicale en sera la clef. Mais en l’absence de ces nombreuses preuves, Jihane et Antonio ne pourront sans doute pas obtenir toutes les réponses à leurs questions.
François Roulet/jvia