Un auxiliaire de santé qui travaillait dans un EMS du canton de Vaud est en détention provisoire depuis plus de huit mois. Il est soupçonné d’avoir maltraité une résidente de l’établissement médico-social, une nonagénaire atteinte de la maladie d’Alzheimer, dont le pronostic vital a été engagé. Interrogée au 19h30 de la RTS, la fille de la victime s’exprime pour la première fois sur ce drame.
Les faits remontent au 28 mai 2018. Le prévenu fait prendre sa douche à la résidente, qui ne parle plus, mais s’exprime surtout par des cris. Dans les heures qui suivent, des employés de l’EMS constatent que la nonagénaire a des cloques et des lambeaux de peau collés aux habits. Ils décident d’appeler une ambulance. La résidente est conduite au Centre romand des brûlés du CHUV. Elle est brûlée au deuxième degré sur 36% du corps et au premier degré sur 9% du corps.
"Pourquoi un geste pareil?"
"Quand j’ai vu ma maman avec toutes ces plaies sur le visage, sur le corps, cela a été un immense choc", confie Katherine, la fille de la victime. Elle s’interroge: "Comment peut-on arriver à des gestes aussi atroces, qu’est-ce qui se passe dans la tête de cette personne? Pourquoi un geste pareil, sur une personne sans défense, quelqu’un qui n’a pas les moyens de dire stop, halte, ou d'arrêter la situation?"
Huit mois après ce drame, la nonagénaire est tirée d’affaire. L’instruction pénale, elle, se poursuit. Le prévenu est en détention provisoire en raison du risque de fuite et de récidive. Il y a deux procédures ouvertes à son encontre. La première porte sur l’affaire de la douche bouillante. La seconde sur la mort du fils du prévenu, en 2017. L’enfant avait été victime d’un arrêt cardio-respiratoire au domicile de ses parents et l’expertise médico-légale avait indiqué que l’enfant présentait les traces du syndrome du bébé secoué.
Prévenu licencié… un mois avant les faits
L’avocate vaudoise Véronique Fontana représente la famille de la nonagénaire brûlée. Interrogée par la RTS, elle révèle que le prévenu avait reçu un avertissement écrit de l’EMS six mois avant l’affaire de la douche. L’avertissement indiquait qu’il était question de "suspicion de maltraitance" et de "divers points de négligence", "ce qui ne garantit plus la sécurité et l’accompagnement" des résidents.
Me Fontana révèle également qu’un mois avant le drame, le prévenu avait été licencié. "Ce qui me frappe, c’est qu’avec les soupçons de maltraitance qui ont justifié d’abord un avertissement puis la résiliation du contrat, on n’ait pas libéré purement et simplement l’employé de son obligation de travailler", commente l’avocate.
Mis en cause, le directeur de l’EMS se défend. "Le motif du licenciement est sans lien avec la prise en charge des résidents. Il n’y avait à ce moment pas de raison de penser qu’il convenait de le libérer de l’obligation de travailler", indique-t-il dans une prise de position écrite.
Selon les informations de la RTS, le prévenu a été licencié en raison de l’avertissement reçu six mois avant les faits, mais aussi en raison d’une rupture du lien de confiance liée à des propos mensongers qu’il a tenus.
300'000 aînés victimes de maltraitance
Poursuivi pour lésions corporelles graves, l’aide-soignant est défendu par Me Jean-Marc Courvoisier. "Mon client conteste avoir volontairement donné une douche bouillante", fait savoir l’avocat. Il ajoute qu’un mois après avoir reçu un avertissement, son client avait obtenu une excellente note lors d’une évaluation, notamment sur la question du respect, du savoir-vivre et de l’écoute.
Cette affaire lève le voile sur le tabou de la maltraitance des personnes âgées. Selon un rapport de l’OMS de 2011, 1 personne sur 5 âgée de plus de 65 ans est victime de maltraitance, en institution ou à domicile. En Suisse, cela représente environ 300'000 personnes.
Place pour les seniors dans la société
Si l’on s’arrête sur les institutions d’aide et de soins en Suisse romande, une autre étude réalisée en 2011 montre que 54% des responsables d’établissement ont été confrontés à de la maltraitance dans leur institution.
La psychologue Delphine Roulet Schwab, professeure à l’Institut et Haute école de la Santé La Source, à Lausanne, est l'auteure de cette étude. Elle explique que la maltraitance est liée à plusieurs facteurs. "Aux individus, qui parfois dérapent dans des situations où ils sont sous pression, ce qui est compréhensible, mais pas excusable. Aux institutions, à la manière dont le travail est organisé, à la dotation, à la formation qui est mise en place, aux restrictions budgétaires qui peuvent aussi peser sur ces institutions. Et puis à la société en général. Comment est-ce qu’on voit les personnes âgées? Comment est-ce que l'on valorise le travail auprès des personnes âgées? Tous ces facteurs s’accumulent dans certaines situations et peuvent amener à des dérapages."
Remettre l’humain au centre
Secrétaire romand de Curaviva, la faîtière suisse des EMS, Camille-Angelo Aglione confirme qu’il y a des dérapages. Mais il insiste sur le fait qu’il existe des garde-fous. Interrogé par le 19h30, il dit que "le premier, c’est d’avoir du personnel formé. N’importe qui ne peut pas travailler en EMS. Ensuite, c’est d’avoir une équipe, des regards qui se croisent. Tout ça s’inscrit dans des règles. De la maison, mais aussi d’un canton, d’une Confédération. Chacun a des organes de contrôle."
Pour limiter les risques de maltraitance, il n’y a pas de solution miracle, estime la psychologue Delphine Roulet Schwab. Mais il y a un but à garder en tête, remettre l’humain au centre. "Il faut se rappeler qu’en face de soi, on a une personne avec toute une histoire, une expérience, qui a vécu plein de choses. On n’a pas un numéro ou un pot de fleur dont on doit prendre soin."
En 2017, plus de 150'000 personnes avec une histoire et une expérience ont séjourné dans un EMS.
Fabiano Citroni/kkub