L'homme aux deux étoiles Michelin a créé la surprise la semaine dernière en annonçant qu'il allait fermer son célèbre établissement Le Cerf à Cossonay (VD). La fin d'une aventure débutée en 1982 quand, à 26 ans, il a ouvert son restaurant avec son épouse Christine.
Le chef souhaite aujourd'hui écrire une nouvelle page, même s'il ne sait pas encore laquelle. "Ce n'est pas la fin de l'histoire, juste la fin de cette histoire-là. J'ai décidé de mettre fin à la manière dont Le Cerf a été géré depuis presque 38 ans, et nous nous donnons jusqu'à septembre-octobre pour trouver une nouvelle voie pour le restaurant."
J'aimerais revenir à quelque chose de plus simple et épuré, une formule qui permettrait aussi de baisser les prix.
A écouter Carlo Crisci, le chemin qui se dessine pourrait bien être celui d'une plus grande simplicité. "Notre génération est peut-être allée trop loin dans la sophistication de la gastronomie. C'est devenu élitaire. Aujourd'hui, j'aimerais revenir à quelque chose de plus simple et épuré, une formule qui permettrait également de baisser les prix."
Dans son idéal, une famille qui économise pour s'offrir un menu à sa table ne devrait plus être en mesure de le faire une fois par année, mais deux fois... par mois! "Mais pour cela, il faut simplifier."
A 62 ans, celui qui a reçu l'amour de la cuisine de son père, immigré saisonnier italien, pense également "transmission". Mais pour un jeune cuisinier, reprendre Le Cerf sous sa forme actuelle serait ardu, il faudrait une autre formule, estime Carlo Crisci. "La seule qualité requise est le talent. Mais le talent sans l'argent, dans cette configuration, serait difficile."
S'amuser, malgré la pression
La question de la relève dans le domaine de la gastronomie est complexe, admet-il. "Aujourd'hui, 80% des apprentis cuisiniers le sont dans les EMS ou des cantines. Or, ils sont 'perdus' pour nous: ils n'ont pas l'habitude du stress, des timings serrés. Chez nous, ça doit aller vite, ça doit être chaud et bien servi, beaucoup de jeunes ne supportent pas cette pression."
A la tête du Cerf toutefois, ni les horaires difficiles, ni la "guerre des étoiles" ou la pression quotidienne pour conserver les 18 points au Gault&Millaut ne semblent avoir affecté l'enthousiasme juvénile de Carlo Crisici à provoquer le ravissement des papilles. "J'ai toujours eu l'impression de m'amuser en cuisine. La reconnaissance par après est importante, mais ce n'est pas l'essentiel."
La téléréalité, fausse porte d'entrée?
Quant aux nouvelles habitudes de sa clientèle - par ailleurs de plus en plus jeune - de laisser des commentaires sur internet, la pratique ne semble guère le déstabiliser. "Sur 200 ou 300 commentaires, il y en aura toujours 1 ou 2 de négatif. Mais ce qui me surprend, c'est que les gens le font sur internet plutôt que de nous le dire au restaurant. Alors que c'est comme ça que j'ai appris et que je conçois le métier: par le retour et la discussion constants avec nos clients."
Si pour le grand public, les émissions de téléréalité - de type Top Chef, MasterChef, etc. - ont contribué à jeter la lumière sur le métier de cuisinier, l'effet est finalement assez limité, estime Carlo Crisci. "Les gens ont pu avoir l'impression d'avoir compris la gastronomie devant leurs écrans en mangeant un paquet de chips." Une variante évidemment moins chère que de dîner à une grande table. "D'où le besoin de démocratiser notre cuisine!", insiste-t-il.
Propos recueillis par Elisabeth Logean
Adaptation web: Katharina Kubicek