Grêle, réchauffement climatique, reconversion au bio, préservation des cépages suisses, promotion: les vignerons connaissent peu de répit. Une série de documentaires proposent une plongée dans ce quotidien harassant, mais passionnant.
Chapitre 1
1001 embûches
Point prod
Le métier de vigneron est un métier de passionnés que nulle embûche, aussi nombreuses soient-elles, ne semble pouvoir décourager, comme le démontrent la série "Une année à la vigne" et le documentaire "Cépages rares, un patrimoine suisse".
Car les défis sont nombreux: entre les caprices de la météo, les envies de respecter la nature et les besoins de rentabilité, les vignerons marchent en permanence sur des oeufs. Basé à Lully (GE), Damien Mermoud confie que son père lui a "clairement" indiqué qu'il devait faire "autre chose que vigneron". "On est toujours en souci", confirme le père, Luc Mermoud. Et de citer le grand-père Mermoud qui, la veille de son décès, demandait encore: "Comment ça va à la vigne? Est-ce qu'il y a de la maladie? Est-ce que le raisin est joli? Est-ce que, est-ce que, est-ce que..."
Chapitre 2
A la merci de Dame Nature
Keystone - Jean-Christophe Bott
Trop humide, trop sec, trop froid, trop chaud, trop extrême... Les vignerons ont les yeux constamment braqués sur le ciel, dont l'humeur au fil des mois va fortement influencer la cuvée à venir. "En 2013, on a perdu 80% du domaine avec un orage de grêle. (...) On était dans les vignes, on a eu le temps de sauter dans la bagnole, puis de voir les vignes se faire lacérer! (...) Et le gel de 2017, dans le genre cataclysme, on était à peu près sur la même marche du podium. C'était assez terrible", témoigne Damien Mermoud.
Tu sais que ça va arriver et tu ne peux rien faire. Tu attends, tu pries, tu allumes des cierges, tu fais des incantations ou quoi que ce soit, mais voilà...
Certains protègent leurs vignes de filets anti-grêle, comme c'est le cas au Tessin, au domaine de Tamborini. "Nous avons posé, au mois de mars, 68 kilomètres de filets. C’était un boulot un peu long, un peu ennuyeux, mais au moins on peut dormir sereinement", confie l'agronome Pierluigi Alberio.
La sécheresse, dont le nombre d'épisodes augmente avec le dérèglement climatique, pose aussi de sérieux problèmes, surtout aux jeunes plants qui n'ont pas de racines profondes. Les apex (extrémités de la vigne) brûlent et les feuilles tombent. Dans les cas les plus graves, il n'y a pas de récolte.
Enfin, il y a les ravageurs, tels que les oiseaux, les fourmis, les mouches drosophiles, voire les blaireaux, les chevreuils... Leur gourmandise augmente à mesure que les grappes se développent...
Chapitre 3
L'heure des vendanges
Point prod
Même s'ils sont épargnés par la grêle, le gel, la sécheresse et les maladies (mildiou et oïdium principalement), les vignerons doivent composer avec l'ensemble des conditions météorologiques annuelles pour déterminer le moment des vendanges. Cette étape brève, mais cruciale, a lieu en principe 100 jours après la floraison, mais c'est en principe...
Mesuré par un mustimètre, le taux de sucre du raisin est l'un des principaux critères pour lancer les vendanges. Plus ce taux est élevé, plus le vin sera alcoolisé. Quant aux autres critères, ils relèvent plutôt de l'expérience...
"Si vous laissez accumuler les sucres pendant une mauvaise corrélation avec le développement des arômes, vous allez faire un vin très déséquilibré sur l’alcool", prévient Basile Monachon, vigneron à Rivaz, dans le vignoble de Lavaux. "Le Pinot Noir c’est peut-être le cépage rouge le plus délicat. Donc il faut le ramasser le Jour J, c’est presque ça", précise son père, Pierre Monachon.
Chapitre 4
S'adapter au réchauffement climatique
Le réchauffement climatique complique encore la donne. La chaleur et la sécheresse font colorer les grains, grimper le taux de sucre et baisser l'acidité, mais sans pour autant accélérer la maturation du fruit. "On ne peut pas vendanger si le raisin n’est pas mûr, même avec un taux de sucre élevé. Ça donne juste beaucoup d’alcool, mais pas de tannins", explique Irène Grünenfelder, vigneronne à Jenins, dans les Grisons.
Malgré tout, les vendanges sont toujours plus précoces. En 2018, au domaine de Rivaz à Lavaux, la récolte a eu lieu en août, du jamais-vu pour Pierre Monachon, qui se demande si l'exceptionnel ne va pas devenir la norme.
"Il faut tout le temps se remettre en question (...) et faire au mieux avec ce que la nature propose", conclut Damien Mermoud.
Chapitre 5
Bio ou pas bio?
Point prod
Le nombre de facteurs à prendre en considération avant de mettre son vin en bouteille est donc considérable. Néanmoins ils sont toujours plus nombreux à vouloir se lancer dans le bio, voire la biodynamie, même si cela accroît encore la complexité de la tâche.
Face aux virus, les principaux traitements acceptés pour un label bio sont le cuivre et le soufre. Ces produits ne pénètrent pas la plante. Mais ils se retrouvent par terre dès une grosse averse. Il faut donc les appliquer régulièrement. Irène Grünenfelder a décidé de convertir son vignoble au bio, car elle est "convaincue" que cette culture "est meilleure pour le sol et la vigne". Mais ses enfants se montrent très sceptiques, critiquant le fait que le tracteur fasse de plus nombreux passages et que le sol se retrouve noyé par des métaux lourds. "En 2016, on a dû traiter jusqu'à 15 fois au lieu de 9 ou 8 en conventionnel, alors je me demande si cela reste rentable et si c’est vraiment écologique", explique Johannes, qui doit reprendre le domaine dans quelques années.
La biodynamie va encore plus loin. Non seulement, elle entend préserver le sol de toute chimie artificielle, mais en plus elle veut le nourrir en s'appuyant sur les rythmes planétaires. Marion Granges, basée à Beudon en Valais, fait partie des pionniers en Suisse. Elle élabore des préparâts biodynamiques, qu'elle considère comme des "médicaments pour la terre", qui permettent d'obtenir des aliments "plus sains" et "plus savoureux".
Les préparations de Marion Granges:
La "bouse de corne" : des cornes de vaches remplies de bouse sont enterrées de l'automne au printemps. Une fois que la bouse s'est transformée en une terre noire et colloïdale qui ne sent plus le fumier, elle est diluée avec de l'eau. Le préparât est alors épandu en gouttes sur la terre afin de renforcer les plantes, favoriser leur enracinement et les rendre plus réceptives aux influences du cosmos.
La silice ou "quartz de corne": des cornes de vaches remplies de quartz moulu et mouillé sont enterrées du printemps à l'automne (voir image ci-dessus). La silice ainsi obtenue est ensuite mélangée à l'eau pour être épandue en petites quantités sur les plantes pour les aider à assimiler la lumières (photosynthèse), à capter les forces du cosmos, et donc à être plus résistantes.
Chapitre 6
250 cépages
Octuor films
Il existe 6000 cépages dans le monde, dont 250 sont cultivés en Suisse. Parmi les 80 cépages proprement helvétiques, 59 sont des croisements récents et artificiels et 21 sont des croisements spontanés et plus anciens.
Des vignerons passionnés s'évertuent à faire renaître des cépages tombés dans l'oubli. Parti à leur rencontre, le réalisateur Florian Burion dresse la carte de ces raisins, dont le patrimoine génétique "se lit comme un livre d'histoire des échanges, d'une vallée alpine à l'autre". Car jusqu'à la fin du XIXe siècle, de nombreuses familles paysannes cultivaient une vigne, avec ses propres cépages. Tout prit fin avec l'arrivée du phylloxéra, un puceron américain qui s'attaque aux racines. On arracha les plants et on greffa les vignes européennes sur des ceps américains.
Quelques variétés anciennes
La Bondola: vigne très résistante et productive, qui fut supplantée par le Merlot dès 1906.
La Bondoletta: vigne issue de la Bondola et du Completer. Ses raisins mûrissent 2-3 semaines avant ceux de la Bondola.
Le Completer: cépage grison à feuilles tachées de rouge, dont la mention la plus ancienne remonte à 1321. Ce blanc puissant et riche était bu par les moines après la prière du soir. Très sensible et peu productif, il a été supplanté par le pinot.
Le Lafnetscha: cépage issu du Completer et de l'Humagne blanc.
Le Himbertscha: issu de l'Humagne blanc, son nom provient du dialecte "im Bercla", qui signifie cultivé en pergola. Non idéal, ce type de viticulture a été abandonné.
Le Hitzkircher: cépage issu du Completer qui se trouve uniquement à Hitzkirch (LU). Il est en cours de réintroduction.
La Rèze: ce blanc valaisan, dont la mention la plus ancienne remonte à 1313, est utilisé par les Anniviards pour produire le célèbre Vin des glaciers.
La Diolle: issu de la Rèze, ce cépage valaisan est cultivé depuis au moins 1654.
Le chasselas: cépage suisse par excellence, originaire de l'arc lémanique, selon de récentes études génétiques.
Le Plant Robert: variante de Gamay cultivée en terrasse à Lavaux depuis le 11e siècle.
Quelques variétés récentes
Le Gamaret et le Garanoir: cépages créés dans les années 80 à partir du Beaujolais.
Le Divico: croisement du Gamaret et du Bronner. Né dans les années 90, ce cépage est très résistant.
Chapitre 7
Léguer sa terre
Point prod
En Suisse, de nombreux domaines viticoles traversent les âges sans changer de famille. A Rivaz (Lavaux), Basile Monachon appartient à la 5e génération de vignerons !
Il arrive aussi désormais que le passage de témoin se fasse de père ... en fille, comme c'est le cas dans le domaine de Tamborini, au Tessin. "Ce n'est pas toujours simple, évidemment, avec tous ces hommes... avec mon père, mon grand-père et tous mes collaborateurs, y compris l'œnologue et les cavistes", confie Valentina Tamborini.
La transmission des connaissances se fait en général dès le plus jeune âge, à l'image du Genevois Damien Mermoud, qui explique chaque fait et geste à ses jumelles en âge préscolaire. Puis en grandissant, les enfants apprennent à tailler, à ébourgeonner, à effeuiller, etc... "J’allais travailler à la vigne alors qu'il faisait chaud, que les copains étaient à la piscine... Mais on apprend à aimer ce travail en extérieur, ce respect d’une plante qu’on doit faire pousser. Et donc petit à petit, on commence à tomber dedans", témoigne le Vaudois Basile Monachon.
Ca change tout de savoir qu'on a un successeur, plutôt que de travailler que pour soi. C’est rassurant, cela donne un sens
Puis vient l'heure de transmettre la terre, une étape très délicate... "Damien à voulu une vraie coupure. C’est quelque chose que je n’avais pas pu comprendre quand je l’ai fait subir à mon propre père. C’est aujourd'hui que je comprends ce que je lui ai imposé", admet le Genevois Luc Mermoud.
La conversion du domaine au bio suscite le plus souvent des incompréhensions. "Dès qu'il a repris les commandes de l’exploitation, Basile a pris l’option de travailler sans herbicide. Et cette année, avec des conditions de sec exceptionnel, la vigne a souffert (...), il y a moins de litres", regrette Pierre Monachon au terme des vendanges, avant de se rétracter quelques semaines plus tard, en reconnaissant une grande qualité dans le raisin: "Ça va faire un tout grand millésime", sourit-il avec soulagement.
S'il n'y a pas de reprise en vue, le stress augmente à mesure que le vigneron s'approche de la retraite. A Beudon, Marion Granges est inquiète. Son mari est parti prématurément. Ses enfants ont opté pour la musique. Son domaine, perché à 800m d'altitude, n'est accessible qu'en télébenne. "Et puis je ne veux pas qu'il y ait un cm2 de terrain qui retourne à la chimie", précise la Valaisanne.
Chapitre 8
Au fil des saisons
Point prod
Pour que la vigne devienne vin, le vigneron doit adapter son cahier des charges chaque mois. Panorama de son programme (hors vente et administration).
Hiver
Novembre-février, la dormance: dès les premières gelées, les feuilles tombent et la vigne passe en repos hivernal. La sève ne circule plus dans la plante. Le vigneron coupe les longs sarments et protège les ceps du froid et des pluies par des buttes de terre (buttage). En parallèle, le vigneron s'occupe de l'élevage, en cuve ou en fût, de la vendange précédente.
Printemps
Mars-avril, le débourrement. La sève circule à nouveau et les bourgeons s'ouvrent. Le vigneron laboure pour éliminer les herbes et détruire les racines superficielles, ce qui favorise un enracinement en profondeur.
Avril-mai, la feuillaison. Le vigneron expose au mieux les feuilles à la lumière (palissage). Il traite préventivement les plantes contre les maladies et les parasites. Il taille les "gourmands" (épamprage et ebourgeonnage).
Mai-juin, la floraison. Le vigneron attache les nouveaux rameaux sur les palissages (accolage) et coupe la vigne en largeur (rognage) et en hauteur (écimage). De son côté, l'œnologue déguste les vins de la saison précédente pour procéder aux assemblages.
Été
Juin-juillet, la nouaison: les fleurs donnent naissance à des grains de raisins. Le vigneron favorise certaines grappes en en éliminant d'autres (éclaircissage). Les traitements se poursuivent. Le labour est plus léger (griffage).
Août, la véraison: les raisins se colorent et s'enrichissent en sucres et en arômes. S'il fait trop sec, les raisins seront trop petits. S'il pleut trop, les raisins seront gorgés d'eau et les maladies se développeront facilement. Le vigneron enlève certaines feuilles pour favoriser un bon ensoleillement des grappes (effeuillage).
Automne
Septembre-octobre, la maturation. Les vendanges peuvent commencer. Les grains verts ou noirs sont laissés sur place. Suivront la macération, la fermentation et le pressurage du raisin.