Ce document a contribué récemment à toute une série de réformes au sein de l'Académie qui forme les policiers, cantonaux et communaux, venant de Vaud, Genève et du Valais.
La lecture de cette étude offre un éclairage inédit sur le mécontentement des plus hautes autorités de police contre l'état d'esprit qui règne dans cette école.
Durant l'année 2017, une sociologue genevoise a interrogé plus d'une dizaine de commandants de polices cantonales et communales, vaudois et valaisans, mais aussi des chefs de la formation policière et des aspirants policiers. Résultat: si tous relèvent la qualité de l'enseignement, trois quarts d'entre eux n'apprécient pas l'organisation et le style militarisé de l'école. Certes, il faut de la discipline, mais "on ne doit pas préparer des miliciens à des situations de combat", peut-on lire dans cette étude. A Savatan, "on axe trop sur la crise", et "on ne veut pas des CRS", voilà le genre de propos recueillis par la sociologue.
Dérives dans la formation
Toujours selon cette étude, l'accent mis sur le conditionnement physique entraîne des dérives dans la formation. "Le mode martial amène à privilégier l'intensité plutôt que le contenu, l'obéissance plutôt que la capacité de discernement, la conformité plutôt que l'autonomie", est-il écrit.
Du coup, les aspirants perçoivent tout environnement comme a priori dangereux. Ils sont dans une tension et un stress constants, écrit la sociologue. En clair, pour de nombreuses personne interrogées, Savatan doit passer de l'école de recrues à une véritable formation pour adultes.
Gouvernance pointée du doigt
Par ailleurs, l'auteure de ce rapport relève aussi des problèmes de gouvernance. Elle parle d'une "organisation désuète", un centre de formation ne se gérant pas à coups d'ordres de marche et de prescriptions réglementaires. Selon elle, une énergie considérable est gaspillée dans des activités de surveillance des comportements de chacun. Autre problème: les même personnes siègent à la fois dans les organes stratégique et opérationnel de l'Académie. Il manque une séparation des pouvoirs.
La direction de l'école et ses organes dirigeants semblent mis en cause, même si ce n'est pas écrit tel quel. Dans le préambule de son étude, la sociologue écrit que "les institutions sont fortement marquées par la personnalité et les idéaux de ceux qui les dirigent". Elle s'est donc penchée sur les choix stratégiques opérés par l'actuel directeur, Alain Bergonzoli. Lui privilégie l'endurcissement physique, l'opérationnel plutôt que le scolaire, le développement d'un esprit de corps dans lequel le futur policier est conditionné, "mis dans un moule qui donne du sens", selon ses mots rapportés dans l'étude.
Pour son auteure, "le problème fondamental ne se situe ni dans le nombre d'heures ni chez les formateurs, mais dans l'état d'esprit et l'orientation générale qui imprégnent toute la formation à Savatan", écrit-elle avant de faire cinq recommandations à l’attention des autorités cantonales vaudoises, genevoises et valaisannes, en charge de l’Académie de police.
Marc Menichini
"Nous avons changé ce qui était critiqué"
Suite à cette étude, jusqu'à présent gardée secrète, les autorités cantonales ont pris différentes mesures pour gommer le style militaire de Savatan. "Ce rapport a permis de mettre des mots sur les réformes à mener. Nous les avons menées et nous continuons à les mener", indique mardi dans Forum Béatrice Métraux, conseillère d'Etat vaudoise en charge de la sécurité.
Celle qui préside également le conseil de direction de l’Académie de police de Savatan ajoute que le côté militaire mis en exergue par le rapport n'est "pas nouveau". "C'est la raison pour laquelle nous avons changé ce qui était critiqué. Nous avons baissé le nombre d'exercices d'endurance, accentué la formation sur la police de proximité, la formation personnelle et l'autonomisation des aspirants", signale-t-elle.
Si elle ne nie pas les "inquiétudes" autour de l'organisation de l'Académie, Béatrice Métraux tient à souligner que "l'étude révèle dans les premières pages que les employeurs et les aspirants sont satisfaits de la formation".
La justice valide la publication de cette étude
Il y a exactement une année, la RTS s'est vu refuser l'accès à cette étude sociologique. Son mandataire, le Département des institutions et de la sécurité (DIS) du canton de Vaud, justifiait son refus en parlant d'un "document interne qui constituait une aide à la décision des partenaires sécuritaires (...) de l'Académie".
La RTS a décidé de faire recours contre cette décision, en vertu de la loi vaudoise sur l’information et au nom du principe de la transparence. Le 2 mai dernier, le Tribunal cantonal a donné raison à la RTS: "il existe un intérêt public évident à ce qu'un rapport mettant en lumière certains dysfonctionnements d'une école publique (...) puisse être accessible au public". A noter encore que dans cette même procédure, la RTS demandait accès à un autre document. Pour ce dernier, le Tribunal cantonal a confirmé le refus du DIS.