Il y avait les bâtisseurs de cathédrales, il y a désormais les "re"-bâtisseurs de cathédrales. Christophe Amsler est l’un de ceux qui, pour les générations futures, répare la pierre venue du passé. Il a notamment contribué à la restauration de la basilique fortifiée de Valère à Sion, à celle de la collégiale de Neuchâtel, ou encore à celle du château de l'Aile à Vevey.
Mandaté par le canton de Vaud, cet architecte est l’un des responsables de la prochaine étape de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Lausanne. Il a la lourde tâche de succéder, entre autres, au célèbre Viollet-le-Duc, l'un des précédents restaurateurs du bâtiment emblématique de la capitale vaudoise, connu notamment pour sa restauration de Notre-Dame de Paris au XIXème siècle.
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"Une cathédrale en sable"
Dix millions de francs vont être consacrés à cette tâche, qui s'étalera de 2021 à 2024. Selon Christophe Amsler, la somme servira à poursuivre les travaux de conservation et de consolidation de l'édifice pour les cinq à dix prochaines années.
Cet investissement est-il vraiment indispensable au bâtiment? "Tout est urgent à la cathédrale de Lausanne!", répond sans hésiter l'architecte. "C'est, au fond, une cathédrale en sable. A chaque fois qu'il pleut, à chaque fois qu'il gèle, elle perd une partie de sa matière, qui coule sur les trottoirs. La cathédrale est un monument fragile qui nécessite des soins absolument constants". La faute à une construction qui utilise la fameuse molasse du Plateau suisse, une pierre "molle" qui résiste mal aux intempéries. Et celle qu'on trouve aux environs de Lausanne "fait partie des plus faibles de toutes. On est gâtés!", relève Christophe Amsler.
La menace des incendies
Outre la pierre elle-même, les installations électriques ne sont pas non plus de toute première fraîcheur. "C'est un assemblage très empirique d'installations qui ont été ajoutées les unes aux autres de façon extrêmement provisoire à chaque fois, et qui constituent maintenant un ensemble dangereux pour la sécurité de la cathédrale", s'inquiète même le spécialiste.
C'est par le feu ou par l'eau que la plupart des bâtiments ont disparu ou ont été mutilés. La menace existe partout
"Le risque d'incendie est toujours présent dans l'esprit des personnes qui ont la responsabilité de ces bâtiments. C'est un risque très important. La menace existe partout. C'est par le feu ou par l'eau que la plupart des bâtiments ont disparu ou on été mutilés", insiste l'architecte.
Population extrêmement sensible aux changements
Paradoxalement, le drame de Notre-Dame de Paris pourrait avoir fait du bien à d'autres constructions importantes: "Il y a une sorte de dimension sacrificielle dans ce drame, car il a permis de débloquer une quantité d'investissements partout en Europe".
Les fonds sont là, mais reste la question de savoir comment rénover, un débat qui divise au sein des spécialistes, mais aussi du grand public. "La moindre modification qu'on introduit dans un bâtiment suscite souvent des réactions qui sont extrêmement passionnées et parfois violentes", constate le responsable du chantier de Lausanne. "On se rend compte de l'attachement de la population à son patrimoine et de sa sensibilité extrême en la matière".
Il y a une sorte de dimension sacrificielle dans le drame de Paris, car il a permis de débloquer une quantité d'investissements partout en Europe
Le patrimoine, témoin du temps qui passe
Deux grandes tendances se distinguent en matière de rénovation de bâtiments historiques, détaille Christophe Amsler. Une approche statique, axée sur la continuité et la pérennité des objets, et une approche beaucoup plus dynamique, dont le souci est de rétablir la construction dans un état complet et cohérent, approche à laquelle était sensible Viollet-le-Duc, même s'il fallait parfois, pour cela, établir le bâtiment dans un état qui pouvait n'avoir jamais existé.
"Les partisans de la première approche regrettent beaucoup les incendies comme celui de Notre-Dame de Paris, qui a privé le présent d'un certain nombre de présences du passé. Ils aimeraient les rétablir", image le spécialiste de la rénovation.
"L'autre approche voit que les choses avancent, bougent, se transforment. Un certain nombre de qualités patrimoniales prennent leur véritable dimension lorsqu'on les place dans le mouvement. C'est là que le patrimoine est important, car il est là pour faire se rappeler de choses. Si les choses ne bougent pas, il n'y a rien à se rappeler. Tandis que si tout bouge, il devient très intéressant d'avoir des monuments".
Propos recueillis par Xavier Alonso
Adaptation web: Vincent Cherpillod