Egalement dealer, l'accusé avait pris contact en 2016 avec deux mères célibataires au Nigeria, leur faisant miroiter des études en Suisse. Mais sur le trajet, les deux femmes avaient été séquestrées en Libye puis prostituées en Italie. L'une s'était échappée en direction de l'Allemagne, alors que l'autre avait rejoint la Suisse et s'était prostituée dans un appartement de Renens (VD) afin de rembourser les 25'000 francs qui lui étaient réclamés pour son voyage.
Pour asseoir son emprise, le prévenu aurait eu recours à un rituel de magie noire issu de croyances très présentes au Nigeria. Cette pratique a déjà été reconnue comme mesure de contrainte par la cour du Tribunal d’arrondissement de Lausanne dans un procès semblable en 2018.
Des chiffres en forme de pointe de l'iceberg
"On compte environ 250 victimes de traite identifiées et assistées chaque année par les services spécialisés d'aide aux victimes en Suisse, rappelle Claire Potaux Vésy, cheffe suppléante du bureau de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Berne.
"Mais on sait que ce chiffre ne correspond vraiment qu'à la pointe de l'iceberg", a-t-elle souligné lundi dans le 12h30. "C'est un crime qui se passe de façon cachée, qui est relativement difficile à identifier. La plupart des victimes sont de jeunes femmes exploitées sexuellement. Et le Nigeria est un des pays d'origine principaux, avec la Thaïlande, la Hongrie, la Roumanie ou la Bulgarie".
Et pourtant, les procès sont encore rares en Suisse. "Pour l'année 2019, il y a eu sept condamnations pour traite des personnes selon l'article 182 du Code pénal suisse", rappelle Claire Potaux Vésy. "Les années précédentes, les chiffres ont été de quatre à six condamnations. Il y a eu des années avec des chiffres un peu plus élevés - notamment 2015 avec 21 condamnations. "On voit que ce sont des chiffres qui restent relativement faibles par rapport au nombre de cas répertoriés".
Un chef d'accusation compliqué à prouver
Car cette forme d'esclavagisme moderne reste difficile à prouver, en raison de sa définition relativement complexe. Pour poursuivre quelqu'un pour traite d'êtres humains, il faut réunir plusieurs éléments constitutifs précis et distincts. "Donc la plupart du temps, les condamnations sortent pour d'autres chefs d'accusation comme l'encouragement à la prostitution ou l'usure. Mais ce sont des peines bien moins élevées et qui ne correspondent pas à l'atrocité de ce crime", déplore cette spécialiste.
Les victimes ont également peur de dénoncer leurs tortionnaires en raison de possibles représailles, notamment sur les familles restées au pays. "Les victimes sont terrorisées par les réseaux criminels qui les ont exploitées", explique Claire Potaux Vésy. "Dans certains cas, par exemple en Afrique de l'Ouest, il y a des pratiques qui jouent sur les croyances locales, comme les pratiques vaudoues, par lesquelles les personnes qui exploitent les victimes font sceller des pactes ou des serments où la victime s'engage à travailler pour une personne et surtout à rembourser ses dettes en raison du voyage en Europe".
Propos recueillis par Nadine Haltiner/oang