Modifié

L'UNIL veut "encadrer" la parole militante de son corps enseignant

L'Université de Lausanne envisage de cadrer la prise de parole publique de ses professeurs
L'Université de Lausanne envisage de cadrer la prise de parole publique de ses professeurs / Forum / 3 min. / le 18 mars 2021
Appeler à la désobéissance civile quand on est professeur d'université, est-ce légitime? Par exemple en soutenant les Zadistes de la Zone à défendre du Mormont. Ou en s'engageant contre la 5G, alors que son employeur est la Confédération, qui soutient son déploiement. L'UNIL réfléchit à cadrer la "prise de parole publique" de ses professeurs militants et activistes.

La direction de l'Université de Lausanne (UNIL) mène depuis avril 2020 un processus visant à cadrer toute prise de parole de son corps professoral concernant des sujets militants et activistes, c'est ce que révèle RTSinfo. Les treize personnes qui constituent cette entité doivent prochainement proposer une charte ou un code de bonne conduite. Elles représentent toutes les facultés et la direction de l'institution.

Les thèmes abordés tournent autour du militantisme et de la recherche, avec un certain nombre de questions: le corps scientifique est-il légitime à prendre la parole dans le débat public ou ne doit-il parler que de son domaine de recherche? L'engagement est-il compatible avec l'enseignement? Et l'Université de Lausanne elle-même, en tant qu'institution, peut-elle s'engager pour une cause?

La communauté scientifique a également été sondée en février et mars derniers: les résultats sont en cours d'analyse.

Des voix proéminentes, payées par des deniers publics

Si ce débat anime aujourd'hui l'Université de Lausanne, c'est que l'UNIL a vu ses chercheurs et chercheuses s'engager et donner de la voix lors des mouvements défendant le climat en 2019. Ces personnes étaient présentes dans des manifestations, des blocages en ville et des prises de position parfois véhémentes sur les réseaux sociaux. On se rappelle notamment du Prix Nobel de Chimie Jacques Dubochet et du philosophe Dominique Bourg.

C'est ce qui a poussé la direction de l'Université à être proactive. Car le militantisme de ses têtes professorales – actuelles ou anciennes – a dérangé des personnages politiques, ainsi que des citoyennes et des citoyens, dénonçant l'utilisation de fonds publics pour armer le militantisme.

A l'interne de l'Université également, il y a eu de l'offuscation parmi certaines personnes dans le personnel de recherche.

Museler le personnel?

Avec sa démarche proactive, l'Université de Lausanne veut-elle museler son personnel? Le responsable du groupe de travail affirme qu'il n'en est pas question, car toutes ces personnes sont aussi des citoyennes et des citoyens. Et la liberté académique est une valeur cardinale.

La rectrice de l'UNIL, Nouria Hernandez, explique au micro de Forum qu'il ne s'agit pas "d'émettre un code de conduite, mais de réfléchir à la question, non pas sous la pression d'événements qui nous tombent dessus, mais en amont".

A ce stade, le produit définitif n'est pas encore finalisé et pourrait prendre la forme d'un code des bonnes pratiques, d'une charte de la prise de parole ou même d'une série de recommandations. Il s'agit pour l'heure d'une "réflexion commune", insiste le responsable du groupe: les scientifiques doivent mesurer les bénéfices et les risques de leur militantisme. Pour eux, mais aussi pour l'institution. Il en va de leur responsabilité sociétale et de leur crédibilité.

Les scientifiques sont de plus en plus en vue dans le débat public; cela leur est demandé, souligne Nouria Hernandez qui affirme que "c'est une bonne chose".

>> Les précisions dans le 12h30 :

Dominique Bourg.
L’Université de Lausanne veut "encadrer" la parole militante de son corps enseignant: interview de Dominique Bourg / Le 12h30 / 4 min. / le 19 mars 2021

Mais il est important de prendre des précautions: "Si vous prenez un spécialiste du climat, au hasard, qui va s'exprimer sur la cause climatique: c'est un expert. Dans ce cas, il me semble absolument légitime qu'il dise qu'il est professeur à l'Université de Lausanne sur le climat, sa spécialité. Maintenant, s'il s'agit de quelqu'un qui n'y connaît pas grand-chose au climat mais qui a des convictions parce qu'il est persuadé par des faits scientifiques, il me semble que dans ce cas, il est aussi légitime que cette personne dise être docteur dans tel domaine. Mais la question se pose – et la réponse n'est pas aisée – de savoir s'il faut dire être professeur d'université ou s'annoncer comme professeur de l'Université de Lausanne?"

Pour elle, il est important que le personnel de l'UNIL annonce que sa prise de position est personnelle et n'est pas celle de l'Université.

>> L'interview complète de Nouria Hernandez, rectrice de l'Université de Lausanne (UNIL), dans Forum :

Code de prise de parole à l'UNIL: interview de Nouria Hernandez
Code de prise de parole à l'UNIL: interview de Nouria Hernandez / Forum / 6 min. / le 18 mars 2021

Difficile de savoir quand un texte verra le jour ou sera officialisé. La procédure a été initialisée par Nouria Hernandez, l'actuelle rectrice de l'Université de Lausanne. Toutefois, il appartiendra à Frédéric Hermann, le prochain recteur, de finaliser le document. Il prendra ses fonctions le 1er août.

>> L'interview d'Antoine Chollet, enseignant et chercheur en sciences politiques à l'Université de Lausanne :

La volonté d'encadrer la parole militante des professeurs à l'UNIL fait réagir (vidéo)
La volonté d'encadrer la parole militante des professeurs à l'UNIL fait réagir (vidéo) / Forum / 4 min. / le 19 mars 2021

Sujet radio: Xavier Alonso

Adaptation web: Stéphanie Jaquet

Publié Modifié

Quid des autres institutions?

Du côté de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, il n'y a pas de règlement de prise de parole, ni de projet en cours. L'EPFL se dit consciente des limites pouvant exister entre liberté académique et loyauté à l'employeur.

Il n'est pas question de généraliser et l'institution gère au cas par cas, en fonction des situations, en discutant avec celles et ceux qui professent et qui affirment des positions militantes.

Nouria Hernandez, rectrice de l'UNIL, explique que l'Université de Lausanne ne s'est pas concertée avec d'autres universités, mais que la démarche est connue de celles de Genève et Neuchâtel: "Elles ne mènent pas ces réflexions, mais sont intéressées par nos résultats", dit-elle dans Forum.