Après les critiques et témoignages accablants sur le fonctionnement de la compagnie rendus publics par la RTS ces dernières semaines, le directeur artistique de la compagnie Gil Roman et le Conseil de fondation semblent chercher à s'organiser.
Mercredi passé, soit le jour même de la diffusion par la RTS de témoignages anonymes d'anciens danseurs, Gil Roman aurait prié certains employés de réécouter plusieurs fois ces témoignages, pour tenter de découvrir qui se cachait derrière eux, a appris la RTS.
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Le directeur artistique aurait ensuite rassemblé son personnel pour tenter de leur faire signer une lettre de soutien à sa personne, une missive destinée aux médias et qui n'est finalement jamais partie. Certains danseurs et danseuses auraient refusé de signer, exigeant tout d'abord de régler les problèmes à l'interne.
Contacté par la RTS, le Conseil de fondation affirme n'avoir "pas connaissance de tels agissements". Il précise que dès que la tenue d'un audit a été arrêtée et communiquée, il a "très rapidement pris les devants en écrivant à l'ensemble de ses employés pour les encourager à y participer", garantissant "leur totale liberté à s'exprimer ou non auprès des auditeurs, sans risque quelconques de sanctions".
"Terreau fertile aux rumeurs malveillantes"
Toutefois, le Conseil de fondation a lui aussi réagi en coulisses. Il a écrit mardi au Cercle des amis du Béjart Ballet, qui regroupe les partenaires, mécènes et donateurs de l'institution. Cette lettre, que la RTS a pu consulter, est signée du directeur exécutif de la compagnie et de la présidente du Conseil, Solange Peters. Elle rappelle qu'un audit va être lancé et que le Conseil de fondation veut faire toute la lumière sur cette affaire.
Le courrier estime cependant qu'il n'y a, en la date du 8 juin, aucun élément qui permette de douter du bon fonctionnement du Béjart Ballet. Il précise aussi que le milieu très compétitif dans lequel la compagnie évolue peut être un terreau fertile pour des rumeurs malveillantes.
Ces manoeuvres en coulisses sont révélatrices d'un système mis en place depuis des années par Gil Roman, et qui perdure encore aujourd'hui, selon de nombreuses personnes à l'intérieur et à l'extérieur de la compagnie. Les employées et les employés seraient tenus par la peur de représailles en cas de prise de parole.
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La tension remonterait jusqu'au coeur même du Conseil de fondation, où il serait difficile d'oser se mettre à dos le directeur artistique, qui est par ailleurs également le président de la Fondation Maurice Béjart elle-même.
Un bien culturel aux enjeux très politiques
Pour la Ville de Lausanne, qui subventionne la compagnie à hauteur de 5,3 millions de francs, l'enjeu est de taille. Car Gil Roman possède, par droit testamentaire, les droits sur l'oeuvre du maître. Des droits qu'il a transmis à la Fondation Maurice Béjart, qu'il préside, et qui a également déposé la marque Béjart Ballet Lausanne. S'il part, il risque donc d'emporter avec lui l'entier de ce fleuron culturel.
Cependant, l'affaire préoccupe le monde politique. La députée Florence Bettschart-Narbel (PLR) a déposé mardi dernier une interpellation urgente au Conseil communal, dans laquelle elle demande des éclaircissements sur le fonctionnement du Béjart Ballet. "La Ville a une responsabilité évidente", estime-t-elle lundi dans Forum. "Tous les membres du Conseil de fondation sont validés par la Municipalité", rappelle-t-elle, ajoutant que le chef du service de la Culture lui-même est membre de ce conseil.
Toutefois, pour Florence Bettschart-Narbel, tant que l'audit n'est pas réalisé, il est trop tôt pour parler de retirer la subvention de la Ville ou pour réclamer des têtes. Elle estime cependant que Gil Roman devrait de lui-même se mettre en retrait le temps de l'audit, pour que celui-ci puisse être mené sereinement, dans le calme et dans le respect des personnes qui témoignent. Et ensuite, "s'il y a des têtes qui doivent tomber, j'espère que ça sera fait", dit-elle.
Sujet radio: Valérie Hauert
Adaptation web: Pierrik Jordan
Réaction au Grand Conseil
Les problèmes qui touchent de plein fouet l'école et la compagnie du Ballet Béjart Lausanne (BBL) ont rebondi mardi au Grand Conseil vaudois. Le député UDC Yvan Pahud a déposé une interpellation exigeant des éclaircissements du Conseil d'Etat sur les subventions cantonales à l'institution.
"Récemment, nous avons appris par la presse que de nombreux agissements malsains étaient ou sont toujours en vigueur au sein du BBL. Les différents témoignages font état de harcèlements sexuels, de mobbing, de népotisme ou encore de consommation et trafic de drogues. Cette situation est regrettable. D'autant plus que le BBL reçoit des subventions de l'Etat pour ses activités", écrit l'élu.
Son interpellation est intitulée "A l'heure de "Me too" et de la grève des femmes, le scandale de la fondation Béjart Ballet fait tache!". Elle pose cinq questions au gouvernement.
Le député de droite veut savoir quel montant a été accordé au cours des cinq dernières années au BBL, si l'Etat de Vaud est représenté au sein du Conseil de fondation du BBL, si le gouvernement était au courant des faits énoncés, quelles mesures il entend prendre afin d'éviter qu’une situation similaire ne se reproduise et, enfin, s'il envisage de geler les subventions à cette fondation.
Un premier audit a révélé fin mai des dysfonctionnements au sein de l'Ecole-atelier, entraînant les licenciements de son directeur et de sa régisseuse, ainsi que la fermeture de l'école pour une année au moins. A la suite de nouvelles allégations, concernant cette fois-ci la compagnie elle-même, le Conseil de fondation a annoncé vendredi dernier lancer un audit global sur l'ensemble du périmètre du BBL (la compagnie et l'école).