"On a des mamans qui viennent de Genève et de Lausanne donner leur lait à Bâle, c'est hallucinant", estime Caroline Peter, qui travaille pour la plus ancienne banque de lait maternel de Suisse, celle du Kinderspital de Bâle, créée en 1938.
La structure qui ouvrira prochainement au CHUV viendra combler un manque, car aujourd'hui on ne compte que sept banques du lait en Suisse, toutes du côté alémanique.
Au Kinderspital de Bâle, une vingtaine de donneuses de lait fournissent en moyenne entre 400 et 500 litres par an. Mais ces dons sont en priorité destinés aux bébés en sous poids, prématurés ou vulnérables. "On s'occupe des nourrissons qui ont besoin de soins. Pour les bébés sains, le lait maternel est un bonus, mais ce n'est pas le rôle de l'hôpital", explique Caroline Peter. Pour elle, ce type de dons doit passer par des structures privées.
Dans d'autres hôpitaux qui ne possèdent pas de banque de lait, les dons ne sont tout simplement pas acceptés. Janina Siegert en a fait l'expérience il y a quelques années.
Quand mon bébé est mort, je ne savais pas quoi faire de mon lait alors je l'ai donné sur Facebook
"Mon bébé est mort une semaine après l'accouchement, je me suis retrouvée avec un sac isotherme plein de fioles de mon lait", raconte la maman endeuillée. "L'hôpital n'a pas voulu les donner, alors j'ai mis une annonce sur Facebook et une maman qui n'arrivait pas à allaiter est venue chercher le sac. Le lendemain, quand j'ai eu une photo du bébé en train de boire mon lait, j'ai pleuré."
Aujourd'hui, les banques de lait sont encore trop rares, alors Janina Siegert continue de promouvoir le don de lait informel via Facebook. Elle est l'une des administratrices de la page Facebook "Human Milk for Human Babies". Le groupe ne cesse de gagner en popularité et compte aujourd'hui 1400 membres.
Des nourrices 2.0
Compte tenu des bienfaits du lait maternel, recommandé par l'OMS, certaines personnes préfèrent le lait d'une donneuse pour leur enfant au lieu d'avoir recours au lait en poudre artificiel.
Sur les réseaux, de nombreuses nourrices n'hésitent pas à offrir leur lait et parfois de belles histoires d'amitié naissent grâce à ces échanges. C'est le cas de Tania et Cynthia, qui habitent dans la région de Sion. Il y a près de deux ans, Cynthia n'arrivait pas à tirer son lait pour son bébé hospitalisé. Grâce à Facebook, Tania est devenue sa nourrice 2.0.
>>> Regardez le témoignage de Tania et de Cynthia:
Une pratique pas sans risque
Ces échanges de lait via les réseaux interpellent le corps médical et la pratique se glisse aussi dans l'agenda politique. La conseillère nationale fribourgeoise du Centre Marie-France Roth Pasquier a déposé une motion à Berne ce mercredi. "On ne sait pas d'où vient ce lait ni comment il a été récolté, donc il y a des risques infectieux", explique la députée, qui réclame la mise en place d'une commission nationale de l'allaitement avec un plan d'action et des mesures pour favoriser la promotion de l'allaitement.
Consciente qu'interdire les dons de lait serait impossible, la parlementaire préconise plutôt de mieux encadrer la pratique, notamment en donnant un statut légal au lait maternel.
Janina Siegert reste toutefois dubitative: "C'est mon lait, j'en fais ce que je veux et personne ne peut m'empêcher de le donner. S'il existait des banques de lait dans toute la Suisse proposant du lait à tous les bébés et pas seulement aux plus vulnérables, alors oui on pourrait fermer notre page Facebook, mais c'est loin d'être le cas."
Coraline Pauchard, Guillaume Rey, Katia Bitsch