De longs délais d'attente et un dysfonctionnement général de l'Etat civil vaudois: Marie Mathyer en a fait l'expérience en juillet dernier. La Lausannoise attend un enfant pour le mois de janvier. Cet été, elle a donc appelé l'Etat civil vaudois pour obtenir une reconnaissance en paternité. "La dame m'a ri au nez en me disant de ne pas espérer de rendez-vous avec l'officier de l'Etat civil avant Pâques..."
Actuellement dans le canton de Vaud, il faut compter cinq mois pour se procurer ce document, contre environ un mois en temps normal. "La situation va être extrêmement compliquée si on veut sortir de Suisse pour présenter cet enfant à notre famille et avoir des papiers d'identité", regrette Marie Mathyer.
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Son conjoint étant de nationalité française, la jeune femme s'est finalement tournée vers la mairie de St-Gingolph pour obtenir le document, qu'elle a reçu quelques jours après sa demande.
Les retards à l'Etat civil vaudois concernent également d'autres documents officiels. Les actes de naissances parviennent aux familles après trois semaines, contre 3 à 4 jours d'ordinaire. Les demandes de mariage tardent quant à elles quatre mois en moyenne.
"Un ras-le-bol général"
La direction de l'institution explique cet engorgement par la pandémie et la hausse des décès et des naissances. Une enquête de la RTS révèle cependant que la crise sanitaire n'a fait qu'amplifier des dysfonctionnements plus anciens, poussant une dizaine d'officiers et d'officières à démissionner en seulement deux ans, soit environ un tiers des effectifs.
Parmi eux, une seule personne a accepté d'expliquer les raisons de son départ face aux caméras de la RTS. "C'est un ras-le-bol général. Ne plus pouvoir faire mon travail correctement, ne plus avoir le temps nécessaire pour parler de la cérémonie avec les fiancés, peut-être le jour le plus important de leur vie, ajouté au manque de considération... Cela fait des années qu'on est sur le fil du rasoir", témoigne dans le 19h30 un ancien officier de l'Etat civil vaudois.
Pour la direction, ces départs seraient principalement motivés par des raisons économiques, un officier gagnant jusqu'à 20% de plus pour le même poste à Genève ou en Valais. Au-delà de la question salariale, les officiers et officières, qu'ils soient démissionnaires ou toujours en poste, déplorent une dégradation constante de leurs conditions de travail.
"On a l'impression de travailler en usine. On nous impose un timing, une manière de travailler, alors que nous sommes qualifiés, compétents et autonomes", raconte une personne qui a tenu à garder l'anonymat. "Il y a une culture de la peur et un management de la mise en concurrence des personnes", dénonce une autre.
"J'ai toujours conçu mon métier comme quelque chose de spécial", ajoute une troisième personne. "Quand on célèbre les mariages, on donne tout de nous. J'ai l'impression qu'on a voulu faire de nous des fonctionnaires comme les autres. J'ai fini par perdre la flamme."
La direction se défend
De nombreux officiers et officières sont ainsi accablés ou en dépression. De son côté, la direction se dit surprise. "Je ne conteste pas que ces gens aient pu souffrir, mais il aurait fallu nous le dire, notamment quand on fait des entretiens de départ. On n'a pas été saisi, on aurait pu dialoguer", se défend le chef du service de la population vaudois Steve Maucci.
Le responsable mise sur la fermeture l'année prochaine des centres régionaux de l'Etat civil au profit d'un seul grand centre à Lausanne pour gagner en efficacité. "Le fait d'avoir l'ensemble du personnel sur un seul site permettra d'avoir un esprit cantonal, et non plus des pratiques par région. On pourra ouvrir des guichets, peut-être à midi, à l'heure où des gens passeront plus facilement", avance Steve Maucci.
Douze officiers actuellement en formation, dont quatre qui viennent d'être brevetés, doivent par ailleurs compenser le départ des membres du service. Selon les syndicats, cela est insuffisant pour résoudre un problème systémique. "Depuis le début de ce siècle, l’Etat civil vit dans une espèce de réorganisation permanente, destinée toujours à accroître l’intensité du travail, à faire perdre une série d'emplois et à payer le moins possible", estime Aristides Pedraza, secrétaire du syndicat SUD.
Une augmentation de salaire est tout de même prévue dès l'année prochaine et une demande afin de créer quatre postes supplémentaires a été soumise au Grand Conseil vaudois. Actuellement, 1500 dossiers sont en attente à l'Etat civil du canton, alors qu'un officier récemment breveté vient de donner sa démission pour la fin de l'année.
Yoan Rithner/iar