Fermeture partielle ou complète de rue, perte d'accessibilité, flux de passants en chute libre, difficulté à se parquer, nuisances sonores ou sismiques: le chantier CFF de la gare donne du fil à retordre à la centaine de commerçants et restaurateurs situés sous-gare, particulièrement à ceux adjacents de la rue du Simplon et du Boulevard de Grancy.
"Pour beaucoup, il y a du souci à se faire. Durant les dix ans de travaux, qui pourra résister?", s'interroge Lee Carnal, patronne d'une boutique et présidente de l'Association du Boulevard. "Leur moral est plombé. Des petits commerces risquent de mourir à petit feu", craint-elle.
A cela s'ajoute la hausse des loyers dans ce quartier très prisé de Lausanne, qui le sera encore plus avec une gare flambant neuve. Des loyers de plus en plus chers qui ont déjà poussé plusieurs petites enseignes à fermer boutique.
"Certains sont aux abois"
Les commerçants de la rue du Simplon, collée à la gare, sont les plus touchés. "Certains ont déjà subi entre 50 à 70% de baisse du chiffre d'affaires. J'en connais qui doivent fermer certains jours de la semaine, d'autres qui sont aux abois", témoigne Philippe Sinessiou, patron d'un magasin de réparation. Lui-même se retrouve en difficulté, en mode "survie", dit-il.
Ils ont tué notre rue. C'est mort.
"En 25 ans, je n'ai jamais connu une telle baisse. J'en suis à moins 50% du chiffre d'affaires. Et c'est de pire en pire", explique l'instigateur de la pétition, lancée il y a deux mois et signée par une quarantaine de commerçants sous la gare. Il est passé de plusieurs centaines de clients par jour à quelques dizaines. "Ils ont tué notre rue. C'est mort", se désole-t-il.
En se faisant le porte-parole des petits commerçants, Philippe Sinessiou veut interpeller les CFF et les autorités de la Ville et du Canton du risque de chômage partiel, voire de fermetures définitives. "Nous aimerions dans un premier temps une prise de conscience puis des discussions concrètes sur des mesures d'urgence et des indemnités", réclame-t-il, n'excluant pas le recours à la voie légale.
Continuer à travailler et animer
Lieu emblématique du secteur, le café de l'Europe tire aussi la langue. "C'est compliqué pour nous. On a perdu 50% de notre chiffre d'affaires. On va essayer de tenir le coup", confie son patron et cuisinier Laurent Degardin. Fataliste mais philosophe, il se dit qu'il "faut continuer à travailler si on veut animer cette rue".
Si plusieurs commerçants n'ont pas signé la pétition, c'est parce que certains ont entamé des négociations bilatérales avec les CFF voire des procédures judiciaires. D'autres en ont assez des oppositions qui pourraient potentiellement retarder encore la fin des travaux.
Président de la Société coopérative des commerçants lausannois (SCCL), Alain Chappuis relève pour sa part que "la marge de manoeuvre pour obtenir des indemnités d'une commune est très faible, sauf si l'accès à un commerce n'est plus possible". Et avant toute action contre les CFF, son conseil est d'abord d'interpeller le bailleur pour demander une baisse du loyer durant les travaux.
Nommer un facilitateur
Dans ce contexte très difficile, des idées émergent. L'Association du Boulevard suggère une initiative de la Ville pour sensibiliser les propriétaires immobiliers au problème et favoriser les commerces locaux et petites enseignes au détriment des grandes chaînes. Lee Carnal imagine aussi des animations ponctuelles, des festivals et des expositions en plein air pour redonner vie au quartier.
"La Ville pourrait créer un poste de facilitateur pour endosser le rôle à la fois de médiateur et d'animateur sous gare tout en faisant le lien entre les commerçants et les autorités politiques", propose-t-elle. Philippe Sinessiou évoque, lui, l'idée d'une aide à la relocalisation.
ats/jfe
CFF et Ville se disent à l'écoute
De leur côté, les CFF assurent avoir "créé et entretenu des relations personnalisées avec les commerçants impactés". Et d'ajouer: "De manière systématique, les commerçants reçoivent les avis travaux leur indiquant toutes les nuisances prévues et les périodes concernées. Lorsque des travaux impliquent exceptionnellement la fermeture de commerce, des négociations ont lieu avec le commerçant concerné", ont-ils répondu à Keystone-ATS.
"Toutes les demandes sont prises en considération, assurent les CFF, par exemple pour le besoin de places de livraison, et examinées avec la Ville de Lausanne pour trouver des solutions". Les CFF disent aussi étudier toute demande d'indemnisation. "Il faudrait toutefois pouvoir démontrer le lien de causalité unique avec le chantier, car d'autres facteurs que les travaux ont pu péjorer le chiffre d'affaires des commerces, à savoir le Covid et le télétravail".
La Ville de Lausanne, elle, rappelle que l'indemnisation de tiers impactés par un chantier public n'a pas de base légale, sans compter que le chantier est sous la responsabilité des CFF. Elle se dit cependant "à l'écoute des commerçants affectés par les travaux et demeure ouverte à entendre toute proposition concrète", et ce notamment via l'unité Pôle Gare.