Ultime ravissement de papilles dans le restaurant de la famille Ravet, après 33 ans d’existence
Des épinards-fraises récoltés par son épouse Ruth et déposés délicatement sur une queue de langouste, quelques pincées de gros sel sur des tartelettes truffées, ce sont les derniers gestes de Bernard Ravet à l'Ermitage. Le grand chef vaudois a fait samedi soir son ultime service dans l'établissement où il a œuvré durant 33 ans, en famille.
Pour ce dernier tour de piste, la brigade de cuisine était d'ailleurs exclusivement familiale. Ses filles, son fils, ses beaux-fils et même son petit-fils ont tous été formés ou fait carrière à l'Ermitage.
Le chef évoque en souriant le "clan et la patte Ravet". Ce samedi soir, derrière l'exigence pointe donc l'émotion. "Il y a un pincement", reconnaît pudiquement Bernard Ravet. "C'est un changement de vie. Pour nous d'un point de vue privé, un saut dans l'inconnu, mais ça ne me fait pas peur."
D'autres projets pour la nouvelle génération
"Je suis arrivé ici en même temps que mes parents. J'avais six ans et je servais alors le pain. Ce que je fais toujours", raconte le fils, Guy Ravet, chef cuisinier à l'Ermitage où il a fait son apprentissage. Après quelques années à l'étranger, il n'a plus quitté les cuisines de Vufflens-le-Château depuis 15 ans.
Même si le lieu "fait partie de sa vie", à bientôt 40 ans, le jeune chef aspire à lancer ses propres projets. "J'aime bien me souvenir que quand mes parents avaient à peu près mon âge, ils ont quitté l'Hôtel de Ville d'Echallens, qui était le lieu de mon grand-père depuis toujours, donc j'ai envie de dire que d'une certaine manière, l'histoire se répète."
L'Ermitage ayant besoin de quelques investissements, Guy Ravet ajoute que "quoi que j'y fasse, cela restera toujours le projet de mes parents". Il n'en dira pas plus, entre rissolage des ris-de-veau et dressage des amuse-bouche. Il tient toutefois à rester président des Grandes Tables de Suisse.
Familial et avant-gardiste
"Je suis les Ravet depuis 30 ans et c'est un des rares restaurants qui travaillent sans sponsor", relève Urs Heller, qui figurait parmi les 41 convives. Le rédacteur en chef de GaultMillau Suisse a salué la constance de l'établissement, qui obtient 19 points sur 20 depuis 29 ans.
Le fonctionnement familial de l'Ermitage est selon Urs Heller une exception dans le monde de la haute gastronomie. "Les Ravet connaissent la provenance de chaque champignon, le pêcheur de chaque poisson qu'ils servent. Aujourd'hui, la mode est au kilomètre zéro, bien sûr, mais eux sont nés avec cette idée", salue le critique culinaire.
Nouvelles aventures
Une aventure culinaire et familiale qui s'achève pour l'Ermitage donc, avec la mise en vente de la propriété. Sur sa terrasse hier soir, à l'heure des discours tenus après les hors d'œuvre, Nathalie Ravet peine à retenir ses larmes.
La sommelière assure toutefois n'éprouver aucun regret. "C'est une décision que l'on a prise tous ensemble, de façon collégiale. C'est beaucoup d'émotion mais c'est aussi une façon pour nous de tourner la page et commencer de nouvelles aventures."
Comme son frère, Nathalie Ravet reste pour l'heure discrète quant à son avenir, mais assure vouloir garder un pied dans le monde du vin.
Julie Rausis et Yoan Rithner